Une fourmi coupe-feuille se protège avec une armure biominérale
Publié le - par LeBlob.fr, avec l’AFP
Une espèce de fourmi coupe-feuille se protège des attaques de fourmis soldats avec une véritable armure biominérale, à base de calcite enrichie de magnésium, encore jamais découverte chez les insectes, selon une étude parue mardi.
Vue de près, Acromyrmex echinatior a un aspect aussi impressionnant que son nom, avec un exosquelette ponctué d’épines. L’espèce, endémique en Amérique latine, est pourtant bien inoffensive.
Ses travailleuses, de la caste des « major », collectent des morceaux de feuilles fraîches, qui une fois mâchés dans le nid par les simples ouvrières, nourrissent une culture de champignons dont leur progéniture fait bombance.
Cette culture et les larves de fourmis sont prisées par d’autres fourmis, prédatrices comme les légionnaires ou des éleveuses de champignons.
Par exemple, elles sont « occasionnellement sujettes aux attaques de la caste des soldats de grande taille » de l’espèce Atta cephalotes, explique l’étude publiée par Nature Communications.
Atta cephalotes devrait avoir l’avantage, grâce à de « puissantes mandibules enrichies de zinc » et une taille d’environ 10 mm, contre 6 mm pour Acromyrmex echinatior.
Malheur à Atta
Mais cette dernière a une parade, comme l’ont découvert les microbiologistes chinois, Hongjie Li, et américain, Cameron R. Currie, à l’Université de Wisconsin-Madison. Son corps est « couvert d’une très mince couche blanche », annonce le Pr Currie, en expliquant que son collègue chinois, chercheur à l’Université chinoise de Ningbo, l’avait « identifiée comme étant biominérale ». Elle est faite de carbonate de calcium – qui forme par exemple le squelette du corail ou la coque des coquillages – mais enrichi de magnésium. Un cocktail « très rare chez les animaux, trouvé uniquement sur nos fourmis et sur les dents d’oursin », selon le Pr Currie.
Les chercheurs ont supposé que ce biominéral « améliore la robustesse de l’exosquelette de la fourmi ». Pour s’en assurer, ils ont élevé des spécimens d’Acromyrmex echinatior d’une façon empêchant la formation de leur armure. Ils ont alors soumis les fourmis, avec et sans armures, à des essais de nanoindentation, qui mesure la résistance à une pointe de l’ordre du milliardième de mètre. Résultat sans appel : elle était jusqu’à plus du double quand l’exosquelette de la fourmi est protégé par son biominéral. Et malheur à Atta cephalotes, qui n’en dispose pas, quand elle s’en prend à Acromyrmex echinatior. Les chercheurs en ont apporté la preuve in vivo, en confrontant les deux espèces dans des « expériences d’agression, mimant des “guerres de fourmis” pour un territoire », selon l’étude.
« Quand les Acromyrmex (echinatior major) sont sans armures, les soldats Atta (cephalotes) les coupent rapidement en morceaux, littéralement », explique le Pr Currie. À l’inverse, quand elles en sont pourvues, leur adversaire a succombé à quasiment chaque duel.
Fourmis cultivatrices
Les chercheurs supposent que cette protection vaut aussi contre certains pathogènes. Les spores de certains champignons ont la particularité désagréable d’installer des infections en pénétrant l’exosquelette des fourmis. Exposées à un tel fléau, les représentantes d’Acromyrmex echinatior dénuées d’armures sont mortes en quatre jours, alors que les autres ont pu résister jusqu’à six jours.
Les auteurs de l’étude ont établi que la fourmi se dotait de son armure rapidement après le stade de la nymphe, la couche biominérale, constituée de minuscules cristaux, apparaissant au bout de huit jours avant de s’endurcir. Le phénomène n’a pas été documenté dans d’autres insectes. Mais les auteurs l’ayant constaté sur une espèce très étudiée, ils suggèrent qu’il puisse exister chez d’autres, moins connues. Le Pr Currie « pense que les (calcite) biominéraux sont probablement beaucoup plus répandus chez les insectes qu’on ne l’imagine ».
Les chercheurs concluent leur étude sur les coupe-feuilles en y voyant un parallèle avec l’agriculture humaine, qui a contraint les anciens chasseurs-cueilleurs à développer des moyens de protéger leurs récoltes. Les fourmis cultivatrices, apparues il y a 60 millions d’années, sont passées à un mode « industriel » de production de champignon il y a 20 millions d’années. Et même si cela parait osé, ils voient « un parallèle supplémentaire avec l’agriculture humaine » : ces fourmis élèvent aussi une bactérie pour protéger leur culture de champignons, comme les humains utilisent un insecticide pour protéger leurs récoltes.