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Vue aérienne du chantier d’ITER, octobre 2021 © Les Nouveaux Médias SNC Engage

Interruption des lancements par des fusées Soyouz depuis le Centre spatial guyanais ; report – au mieux – du projet ExoMars ; interruption des collaborations avec les chercheurs russes : l’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné des conséquences en cascade dans le domaine de la coopération scientifique et technologique.

Qu’en est-il d’ITER, ce projet de réacteur expérimental à fusion nucléaire né en 1985 de la volonté de Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, alors à la tête des deux superpuissances américaine et soviétique, de « promouvoir la collaboration internationale la plus large possible » afin de maîtriser « cette source d’énergie virtuellement inépuisable pour le bénéfice de l’ensemble de l’humanité » ?

Le précédent de la Crimée

Dans le passé, le fonctionnement de cette collaboration forte de sept membres – Union européenne, États-Unis, Russie, Inde, Chine, Japon, Corée – n’a été entravé qu’à une seule reprise par la situation internationale… à l’occasion de l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014. « À l’époque, les Conseils ITER – son instance dirigeante – se déroulaient en alternance dans chacun des pays membres. Cette année-là, le gouvernement américain et l’Union européenne ayant interdit à leurs représentants de se rendre en Russie, le Conseil ITER, initialement prévu à Moscou, s’est finalement déroulé à Saint-Paul-lez-Durance, dans les Bouches-du-Rhône, sur le site d’ITER », raconte Robert Arnoux, son responsable de communication. Depuis, c’est là que se tiennent tous les Conseils ITER – à l’exception des sessions tenues en visioconférence en 2020 et 2021. « C’est le seul moment où des tensions internationales ont impacté ITER – et d’une manière somme toute minime ».

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Déplacement d’un module de 110 tonnes dans le hall d’assemblage d’ITER, février 2022 : cet aimant doit ensuite subir une série de tests © ITER

Cette nouvelle crise, cependant, pourrait avoir des répercussions plus graves pour ITER. Certes, la centaine de Russes employés par ITER Organization (sur 1200 employés) est toujours à pied d’œuvre à Saint-Paul-lez-Durance, précise Robert Arnoux. Leur statut de fonctionnaire international s’accompagne d’ailleurs de clauses d’immunité : l’ordinateur professionnel d’un employé d’ITER ne peut pas être inspecté par un policier français, par exemple. Autre privilège, significatif aujourd’hui : un employé d’ITER ne peut pas non plus être mobilisé par son pays.

Livraisons retardées

En revanche, l’apport des membres de l’organisation s’effectue en nature, par la livraison d’éléments du futur réacteur et de l’infrastructure liée. Le fret maritime étant presque interrompu avec la Russie et l’Ukraine, des livraisons futures pourraient donc se trouver retardées. Les usines russes livrent ainsi régulièrement des busbars, grosses barres d’acier activement refroidies, destinées à acheminer le courant de très forte intensité jusqu’aux aimants du réacteur. « S’il y a du retard dans la livraison, prévoit Robert Arnoux, on avancera sur d’autres parties du chantier ».

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Un secteur de la chambre à vide d’ITER prêt à quitter le port d’Ulsan, en Corée, le 26 janvier 2022. C’est le troisième secteur livré par l’Agence coréenne à ITER. Il doit arriver sur le site d’ITER ce mois-ci © ITER

En outre, la construction d’un aimant annulaire à positionner au sommet du réacteur est en cours de finalisation à Saint-Pétersbourg. Comment cette pièce, d'un diamètre de 8 mètres et d'un poids de 200 tonnes environ, parviendra-t-elle sur site ? « Pour l’heure, la question ne se pose pas vraiment, dans la mesure où cette pièce n’est pas encore prête à quitter son site de fabrication. En outre, son installation doit intervenir assez tard dans la séquence d’assemblage. D’ici là, on ne peut qu’espérer que la situation internationale aura évolué », répond Robert Arnoux. 

Une vision pour le moment plutôt rassurante, donc, quant à la poursuite des travaux sur ITER. Mais qui naturellement pourrait s’assombrir si le conflit se prolongeait, menaçait davantage les livraisons par les pays membres – Russie, surtout – voire, pire, si un conflit ouvert devait opposer deux membres de l’Organisation.