Amazonie, future savane ? Quand la forêt se rapproche de son « point de bascule »
Publié le - par Évrard-Ouicem Eljaouhari
Incendies volontaires, sécheresse, déforestation intensive… Chaque jour, la forêt amazonienne est sujette à des perturbations. À court terme, ces effets l’éloignent de plus en plus de l’état de stabilité dans laquelle elle se trouve : celui d’une forêt tropicale en bonne santé. Certes, l’Amazonie est « résiliente » : après chaque perturbation, elle a la capacité de retrouver son état antérieur. Mais cette résilience n’est pas éternelle ! Elle a ses limites, peut-être déjà franchies.
Dans la revue Nature Climate Change, Chris Boulton de l’université d’Exeter et ses collègues, montrent en effet que depuis le début des années 2000, « plus de 75 % de la forêt amazonienne aurait perdu de sa résilience », selon les termes du chercheur. Autrement dit, sur les trois quarts de son territoire, « plus la forêt endure de perturbations,plus elle met de temps à revenir à son état initial ». Or « si un système perd de sa résilience, c’est le signe qu’il se rapproche de plus en plus de son point de bascule », c’est-à-dire le seuil critique au-delà duquel un système perturbé ne peut plus revenir à son état antérieur. « La forêt amazonienne peut se trouver dans l’état “forêt” ou dans l’état “savane ou prairie” selon les climats qu’elle subit. Si elle franchit son point de bascule, elle ne pourra plus revenir vers son état de forêt, et tendra à devenir une savane ou une prairie ».
La perte de résilience n’est pas uniforme : certaines portions de l’Amazonie se rapprochent plus vite que d’autres du point de bascule, en particulier « dans les zones proches d’activités humaines, comme l’exploitation forestière, explique Chris Boulton. Une perte plus visible s’observe également dans les zones plus sèches, que ce soit à cause du changement climatique ou des feux qui causent l’assèchement ».
Franchissement irrémédiable ?
Pour arriver à ces résultats, les chercheurs ont utilisé plusieurs jeux de données satellitaires. « Celles qui permettent d’estimer la quantité en eau contenue dans les arbres donnent la meilleure approximation des réactions de la forêt ». Plus surprenant, « les données portant sur le couvert forestier ne nous permettent pas d’observer les changements de résilience. La forêt pourrait donc approcher du point de bascule sans que cela ne se voie ».
Plus la forêt amazonienne souffre, plus les effets délétères s’accentuent. Par exemple, « en perdant de la forêt, on perd également les précipitations qu’elle alimente, ce qui aggrave ainsi encore les contraintes », précise Chris Boulton. De plus, si un dépérissement forestier trop important devait survenir, de grandes quantités de carbone seraient relâchées dans l’atmosphère, contribuant à l’augmentation globale des températures. La transformation de la végétation en savane signifierait également une perte d’habitats pour une grande partie de la biodiversité, ainsi que des pertes considérables pour les communautés locales.
« Nos résultats ne permettent pas de préciser si la totalité de la forêt pourrait perdre de sa résilience. Mais ils indiquent que si rien n’est fait, c’est la direction dans laquelle nous nous dirigeons ». De là à ce que le point de bascule soit finalement atteint, les chercheurs avertissent qu’il n’y a qu’un pas qu’il reste pourtant possible de ne pas franchir. « Il est complètement possible que le seuil critique soit atteint, mais il reste possible de l’éviter si des efforts sont réalisés pour prévenir les interactions humaines comme les feux et la déforestation ».