Réguler l’expansion des constellations de satellites pour protéger le ciel
Publié le - par Véronique Marsollier
Pourra-t-on un jour à nouveau observer les étoiles et les planètes dans un ciel sombre et silencieux ? Probablement pas. Depuis deux ans, le déploiement à grande échelle de constellations de satellites de télécommunications, d’imagerie terrestre ou de météorologie par des opérateurs comme Starlink, OneWeb ou Kuiper brouille le ciel en orbite basse (entre 500 et 2 000 km d’altitude). Bientôt, ces constellations rassembleront plus de satellites que l’ensemble de ceux lancés jusque-là.
Des astronomes ont déjà exprimé leurs inquiétudes quant à la multiplication de ces objets, véritables sources de pollution lumineuse. Ces mini-satellites, en effet, peuvent entraver les observations scientifiques. En outre, le ciel – patrimoine de l’humanité – est désormais en danger, estime l’Union astronomique internationale (UAI). L’UAI a donc annoncé, le 3 février dernier, la création d’une nouvelle instance de protection afin de réguler le développement exponentiel de ces constellations : le Centre pour la protection du ciel sombre et silencieux contre les interférences des constellations satellitaires.
En 2019, le lancement des 60 premiers satellites de la constellation Starlink de SpaceX – destinée à fournir un accès internet à haut débit aux quatre coins du monde – a révélé les dégâts qu’ils pouvaient engendrer : en laissant des traces lumineuses sur les images des télescopes, par exemple, ils menacent directement l’observation depuis le sol. Jusqu’à présent, des groupes d’astronomes non coordonnés avaient tenté de comprendre et d’atténuer ces problèmes en collaborant avec les opérateurs satellites, mais pour un résultat limité.
Début 2022, les opérateurs de constellations comme SpaceX (Elon Musk), OneWeb (R. Branson) et Kuiper (Amazon) avaient lancé 2800 satellites (dont 1500 pour le seul réseau Starlink). Leur objectif serait de placer jusqu’à 50 000 satellites en orbite basse (12 000 d’ici 2025 pour Starlink, puis 42 000 à terme). Face à cette prolifération, les astronomes ont décidé d’agir : en créant le « Centre pour la protection du ciel », ils comptent bien avoir leur mot à dire.
Basé au Royaume-Uni, cet organisme coordonnera les efforts pour étudier les impacts de ces méga-constellations de satellites sur l’astronomie, négocier avec les opérateurs et faire pression pour que des lois protègent le ciel nocturne. Dirigé par Piero Benvenuti de l’université de Padoue, ancien président de l’IAU, cette petite structure de sept employés commencera ses activités le 1er avril. Elle est financée par l’IAU et deux autres partenaires : le laboratoire américain NOIRLab et l’observatoire intergouvernemental Square Kilometre Array (SKA/SKAO), radiotélecope géant en cours de construction.
Des études ont déjà montré que les télescopes de sondage à large champ de vision seront les plus touchés par les satellites placés à plus de 1000 kilomètres d’altitude. C’est le cas de l’observatoire américain Vera-C. Rubin, par exemple, en construction au Chili, et qui doit être opérationnel en 2023 : en raison de son imageur plus sensible, les astronomes pensent que jusqu’à un tiers de ses images seront abîmées par les séquences des satellites ! Les radiotélescopes comme ALMA au Chili (Atacama Large Millimeter/Submillimiter Array) utilisés pour capter les ondes radioélectriques émises par les astres pourraient également être affectés par les interférences des liaisons descendantes radio que les constellations de satellites utilisent pour communiquer avec le sol.
Autre tâche dévolue au Centre : celle de développer avec l’industrie des protocoles permettant de suivre les positions des satellites afin que les télescopes puissent les éviter, mais aussi de réduire la réflexion de la lumière du Soleil sur leurs panneaux solaires. Sur ce point, les discussions et projets ont déjà débuté ; Elon Musk n’y semble pas défavorable. Dès les débuts du projet Starlink, d’ailleurs, les astronomes ont collaboré avec SpaceX pour installer des « visières » (VisorSat) qui ombragent les surfaces réfléchissantes et réduisent leur brillance d’un facteur 3 (donc invisible à l’œil nu). Les deux autres gros opérateurs, pour les réseaux OneWeb et Kuiper, s’associent aussi à ce type de projet. Mais la bonne volonté des opérateurs ne suffira peut-être pas. D’où un autre rôle attribué au Centre : celui d’impulser des lois et normes nationales et internationales pour l’obtention d’autorisations de mises en orbite.
Actuellement, c’est l’Union internationale des télécommunications (UIT), une agence des Nations unies, qui – par l’intermédiaire d’une agence spatiale et au vu d’un cahier des charges présenté par un État-membre – attribue une fréquence lorsqu’elle est libre. Ce fonctionnement confère un très fort avantage à l’autorité qui la demande en premier. Or les fréquences se raréfiant – le nombre d’objets connectés et de satellites en orbite augmentant de façon exponentielle – la concurrence accroît les tensions entre acteurs. C’est désormais une véritable course de vitesse qui s’est engagée entre les acteurs des méga-constellations pour occuper les orbites terrestres les plus pratiques et utiliser les meilleures fréquences. Raison pour laquelle l’UAI et d’autres organismes tentent de convaincre le Comité des Nations unies sur les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique(CUPEEA) de la nécessité d’une législation.
Dernière tâche dévolue au Centre, enfin : alerter et s’assurer du soutien des astronomes amateurs, des opérateurs d’astro-tourisme et même des communautés autochtones qui observent le ciel dans le cadre de leurs pratiques culturelles. Une mobilisation à large spectre pour tenter de se réapproprier le ciel.