Quand Homo sapiens s’aventurait dans le froid du nord européen, il y a 45 000 ans
Publié le - par Le blob.fr, avec l'AFP
Le climat glacial ne leur faisait pas peur : des groupes pionniers d’Homo sapiens se sont aventurés dans le nord-ouest de l’Europe, il y a 45 000 ans, soit plusieurs milliers d’années avant que les Néandertaliens disparaissent du continent, selon des études publiées mercredi. Jamais des traces aussi anciennes de l’homme moderne n’avaient été identifiées dans cette région de l’Europe. Cette découverte majeure affine le scénario du peuplement du continent par notre espèce, qui a fini par remplacer les populations locales de Néandertaliens, comme toutes les autres lignées humaines archaïques à travers la planète.
En Europe, « ce phénomène de remplacement s’est étalé sur plusieurs milliers d’années, entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur », explique le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin, directeur du département d’évolution humaine de l’Institut Max-Planck à Leipzig (Allemagne), auteur principal des trois études parues dans Nature.
Durant une phase, Sapiens et Néandertal ont coexisté, sans que l’on sache précisément ni où ni comment. Des preuves archéologiques ont révélé la présence de cultures différentes dans des zones géographiques bien délimitées, durant cette période de transition. Mais identifier les auteurs de ces cultures est un casse-tête tant les restes humains sont rares. Les paléontologues butent notamment sur la culture du Lincombien-Ranisien-Jerzmanowicien (LRJ), un type d’outillage en pierre taillée. Retrouvé sur plusieurs sites au nord des Alpes, sur une bande entre l’Angleterre à la Pologne, il est daté entre environ 45 000 ans et 41 000 ans avant notre ère.
Huit mètres sous terre
De 2016 à 2022, une équipe de l’Institut Max Planck a entrepris de fouiller l’un de ces sites à Ranis, en Allemagne, déjà partiellement excavé dans les années 1930.
Une grotte à l’accès périlleux, dont la voûte s’est effondrée. « Il a fallu descendre à huit mètres sous terre et boiser les parois pour protéger les fouilleurs », raconte Jean-Jacques Hublin, professeur au Collège de France. « Par chance », ces derniers tombent sur des outils biface « LRJ » et des milliers de fragments osseux associés. Une première.
Les scientifiques ont fait appel à une technique récente, appelée paléoprotéomique et consistant à extraire des protéines, pour savoir s’il s’agissait d’os humains ou d’animaux. Ils ont aussi récupéré des ossements collectés dans les années 1930, conservés dans un musée près de Leipzig. Une douzaine de restes humains ont ainsi été soumis à une datation radiocarbone et des analyses génétiques. Verdict : Homo sapiens était l’artisan de ces outils façonnés il y a un peu plus de 45 000 ans.
Des humains aux mêmes caractéristique que leurs congénères découverts dans l’est de l’Europe (Bulgarie et République tchèque). Datés eux aussi d’il y a 45 000 ans, ils étaient jusqu’ici les plus anciens représentants de notre espèce sur le continent. C’est à cette période que les tout premiers Homo sapiens, venus d’Afrique, ont abordé le continent eurasiatique, occupé de longue date par les Néandertaliens sur son flanc ouest.
« On a longtemps eu en tête le modèle d’une grande vague de Sapiens qui a déferlé sur l’Europe et rapidement absorbé les Néandertaliens vers la fin de ces cultures de transition aux alentours de 40 000 ans », décrypte Jean-Jacques Hublin.
Froid sibérien
D’après les dernières découvertes, il semblerait plutôt que Sapiens ait peuplé le continent par « vaguelettes » successives, et plus anciennes qu’imaginé. Durant leur incursion en Europe du nord il y a 45 000 ans, nos lointains ancêtres ont très bien pu coexister avec leurs cousins Néandertaliens, dont les derniers survivants se sont éteints dans le sud-ouest du continent il y a 40 000 ans.
Les travaux publiés dans Nature dépeignent des « pionniers » se risquant à affronter un climat froid, l’équivalent de la Sibérie ou du nord de l’actuelle Scandinavie, décrit dans un communiqué Sarah Pederzani, qui a mené les recherches sur l’environnement de Ranis.
Ils vivaient par petits groupes mobiles, n’occupant que de manière éphémère la grotte où ils consommaient les animaux chassés (rennes, chevaux…). « Comment ces gens venus d’Afrique ont eu l’idée d’aller vers des températures si extrêmes ? », s’interroge le Pr Hublin. Ils possédaient en tout cas une capacité technique et une « résilience au climat froid » dont on pensait qu’elle s’était développée « plusieurs milliers d’années plus tard » chez Sapiens, complète Sarah Pederzani. Ce que n’avait sans doute pas les Néandertaliens, supposés habitués au froid.