- L'intérêt de la grotte Chauvet, cet intérêt scientifique premier, c'est bien sûr son ancienneté. On a face à nous les premiers symboles de la pensée intime d'Homo sapiens.
Découverte le 18 décembre 1994, la grotte Chauvet en Ardèche a été ornée il y a 36000 ans, au Paléolithique supérieur. Elle renferme de somptueuses figures peintes, gravées et dessinées au charbon de bois qui ne cessent de nous surprendre et de nous interroger. Alors, comment l'équipe scientifique pluridisciplinaire remonte-t-elle le fil du temps pour comprendre les gestes des Homo sapiens ? Avec quels nouveaux regards, quelles méthodes et pour quels résultats, 30 ans après la découverte ?
- Si on arrive à bien lire tous les artefacts archéologiques, qu'ils soient humains, dus à l'humain, c'est à dire les dessins sur les parois, leurs activités dans la grotte, le fait de faire des foyers, de circuler, de laisser des empreintes au sol, où on a les traces de circulations… On a la même chose pour certains animaux comme l'ours ou le loup. L'intérêt, c'est de comprendre l'interaction entre l'humain et l'animal dans cette cavité, c'est à dire essayer de proposer une anthropologie culturelle et sociale des faits. Tout indice est fondamental justement pour comprendre l'activité humaine et animale dans la cavité. L'accès aux sols et aux parois étant limité pour des raisons de conservation, les relevés 3D jouent un rôle essentiel, en particulier photogrammétrique.
- Une des grandes questions, c'est la lecture de l'art pariétal. On arrive à des résolutions qui sont centimétriques, voire un peu en dessous mais qui ne sont pas suffisants pour la lecture et notamment, pour l'art pariétal, on est autour du 10ᵉ de millimètre et pour atteindre ces résolutions de lecture des parois, on va utiliser des méthodes multi éclairage. On va avoir un seul point de vue, et on va faire varier les éclairages et avec les mesures d'intensité de lumière, on va pouvoir comme ça reconstruire le relief fin et aider à la lecture. Ça se voit notamment sur toute la paroi gauche de la salle du fond où on a énormément de données qui sont entremêlées, où il faut déceler la chronologie relative entre les tracés, entre les actions animales ou les effets sur la paroi.
- L'utilisation de la troisième dimension au travers des outils 3D est très importante pour nous. Il y a des endroits dans la grotte, notamment dans la galerie des croisillons qui est un endroit quasiment pas aménagé, il y a juste un bandeau où on peut marcher, c’est un endroit argileux donc fragile. Et là, la 3D nous permet de faire une étude à distance des sols sur lesquels on ne peut pas aller. Et là on a redécouvert d'autres empreintes humaines, des empreintes de canidés, des empreintes d'ours qu'on étudie grâce à la 3D. Cette faune paléontologique de la grotte Chauvet, elle est sans aucun rapport avec les activités humaines puisque nous n'avons pas retrouvé ni sur les ossements d'ours des cavernes, ni sur les ossements d'autres espèces, des marques d'activité, de boucherie, de dépeçage, de manipulation humaine. Et donc il y a une fréquentation de la cavité en alternance entre des animaux et des prédateurs, notamment l'ours des cavernes et les groupes humains. Un des résultats vraiment intéressants de cette longue série d'échantillonnages que nous avons faits à la grotte Chauvet, depuis maintenant une vingtaine d'années, est que nous avons une quarantaine de dates directes sur ossements d'ours des cavernes, et il s'avère que cette grotte a été fréquentée presque simultanément, ou on peut même dire en alternance, mais de façon rapprochée dans le temps, par les ours des cavernes et par les hommes préhistoriques de l'Aurignacien notamment. C'est la première fois que l'on peut mettre en évidence une telle intrication chronologique pour une grotte qui est occupée certainement en alternance saisonnière, c'est à dire la mauvaise saison, l'hiver, par les plantigrades qui venaient hiberner et probablement à la bonne saison par les Aurignaciens qui rentraient dans la grotte pour réaliser leurs peintures.
- La géo archéologie, c'est une discipline qui va étudier l'aspect des parois et des sols, des parois qui étaient rubéfiées c'est à dire rouges, avec des traces grises, etc. Ces traces de rubéfaction, on les connaît dans d'autres grottes. Ce sont des traces qui sont liées à la chauffe, au feu. Or, au sol, à ces endroits-là, notamment dans la galerie des mégacéros, on n'avait pas de foyer. La question, c'est : où sont passés les foyers ? Et à quoi ça sert ? Alors à quoi ça sert ? Déjà, on a besoin d'éclairage, c'est la base. Mais on ne fait pas des grands feux comme ça uniquement pour son éclairage. Ils sont là ces feux. On a des productions de torches pour circuler et il ne faut pas oublier que pour faire aussi des grandes fresques, que ce soit la salle du fond, le panneau des chevaux ou d'autres, on a besoin d'éclairage et on ne fait pas ça à la torche. Donc il y a ces feux-là qui existent. Et les feux, qu'est-ce qu'ils vont produire ? Du charbon de bois. Donc on a le côté pratique : éclairage, production de charbon de bois. On pourrait s'arrêter là, mais l'intérêt, c'est d'aller encore plus loin. Quand on regarde les sociétés autochtones actuelles ou sub-actuelles, on connaît toute la valeur autour du feu, de la flamme et surtout de la fumée qui a une valeur de purification et des espaces et des personnes. Et on peut se demander si autour de ces foyers, la mise en place de ces grands foyers qui ont dû faire de la fumée, justement, il n'y avait pas autour de ça des rituels de purification. Alors, tout ce que je vous dis là, bien sûr, j'en ai aucune preuve archéologique, mais c'est des choses qu'il ne faut pas oublier. On est dans une grotte ornée, produite par des sociétés de chasseurs cueilleurs, collecteurs, nomades, sans écriture, et chez eux, il y a beaucoup de choses qui sont dans le symbolique et en fait, tout est un peu symbolique, et on peut se demander justement si ces feux ne sont pas aussi une partie du symbolique de ces humains.
Comment la grotte résonnait ? Alors on peut se dire : tout de suite, on pense à la musique. Or il n'y a pas que la musique. Dans une grotte, il y a la voix. Comment ? Si on est dans une salle, la salle du fond, si je parle à quelqu'un, jusqu'où on m'entend ? Est ce qu'on m'entend dans la galerie des mégacéros ou pas ? Et surtout - je vous ai dit - on est dans des sociétés de chasseurs, cueilleurs, collecteurs, nomades, sans écriture. Ça veut dire que l'oralité est quelque chose de fondamental pour ces sociétés. Et on pense (je pense et l'équipe pense) de plus en plus qu'on est face à des mythes sur les parois. Ça veut dire que ce sont des histoires qu'on raconte. Quand on est devant un panneau et qu'on raconte quelque chose, jusqu'où on nous entend ? Comment la parole, le son répond à l'image ? Et ça, pour moi, c'est quelque chose de très important puisqu'on va essayer d'aller saisir quelque chose d'impalpable archéologiquement, qui est l'entité sonore d'une cavité.
- On continue à faire des découvertes, en tout cas en ce qui me concerne, des choses que je n'avais pas encore vues. J'ai pu faire l'étude sur modèle 3D des parois de la sacristie et là, on a fait à nouveau des découvertes. C'est à dire qu'il y a des choses qu'on connaissait depuis longtemps, mais on a découvert là aussi, par exemple, des grands chevaux gravés. Quand je dis grand, il y en a un qui dépasse les deux mètres ! Ils sont dans un style tout à fait nouveau pour la grotte, qu'on aurait pu qualifier de "magdalénien" - c'est à dire des techniques d'expression avec détails du pelage, du poil de crinière, etc. - qui est extrêmement naturaliste et qui constitue encore une nouveauté dans l'art pariétal de Chauvet.
- Cette grotte, elle nous apporte toujours des surprises. On a découvert dans la salle du fond, une bauge d'ours avec des empreintes, certainement de sagaies. Donc là, aujourd'hui, on a des photos à distance de ce lieu et on va demander des autorisations pour y aller et aller étudier cette chose. Alors pourquoi on découvre ça ? Parce qu'on se pose d'autres questions aujourd'hui et surtout, on a ce regard. Moi j'essaie de pousser pour un regard plus anthropologique des choses. On n'est pas uniquement là pour étudier un dessin sur une paroi, mais pour comprendre justement pourquoi il y a un dessin sur une paroi, pourquoi il y a une interaction humain-animal dans cette grotte et quels sont les liens forts qui unissent les êtres vivants qui sont entrés dans ces lieux ?