Organoïdes : un premier essai clinique français en cancérologie
Publié le - par Barbara Vignaux
Utiliser un organoïde, c’est-à-dire une version miniature de la tumeur construite sur mesure, pour personnaliser le traitement d’un patient atteint d’un cancer digestif : c’est l’ambitieux objectif de l’essai clinique Organotreat-01 mis au point par une équipe de médecins-chercheurs de l’institut Gustave Roussy (IGR) et qui démarrera en 2021.
Fréquents, les cancers digestifs sont difficiles, sinon impossibles à guérir au stade métastasique. En outre, ils ont très peu bénéficié des deux révolutions thérapeutiques des dernières années : immunothérapie et thérapies ciblées, hélas rarement efficaces dans ce type de pathologie. Autrement dit, pas d’option médicamenteuse une fois épuisées les cinq lignes de chimiothérapie utilisées dans les cancers colorectaux – deux lignes seulement pour les autres cancers digestifs (estomac, foie, pancréas etc.).
Pour soigner des patients au stade avancé, il faudrait donc pouvoir proposer aux patients des molécules autres que celles des protocoles standards. « Or pour cela, le gros défi,c’est la qualité du modèle expérimental, souligne Fanny Jaulin, directrice de l’équipe Invasion collective (unité Inserm) à l’IGR et co-directrice d’Organotreat-01 : ce dont on disposait jusqu’à présent, c’était des lignées de cellules cancéreuses établies à partir de tumeurs récoltées il y a très longtemps, mais plus du tout fidèles aux patients aujourd’hui. Ces lignées ont certes été utiles pour mettre au point des traitements standards, mais ne sont pas adaptées à la médecine personnalisée, car elles ne récapitulent pas bien les caractéristiques d’une tumeur donnée ».
Des organoïdes « fidèles »
Inventés il y a une dizaine d’années, les organoïdes reproduisent l’architecture et les traits du tissu dont ils sont originaires : caractéristiques biologiques, résistances aux traitements, reflet de l’histoire thérapeutique des patients. Ils sont donc adaptés à la recherche d’options thérapeutiques supplémentaires.
Tout d’abord, ils sont relativement simples à fabriquer, notamment à l’IGR qui les utilisait jusqu’à présent à des fins de recherche fondamentale, par exemple, pour comprendre les mécanismes de dissémination tumorale. À partir d’une « soupe de tumeur », il faut constituer « une petite boule d’une centaine de cellules » et la mettre en culture, avec du gel et des matrices en 3D : on obtient ainsi un « avatar miniature de la tumeur », détaille Fanny Jaulin, une structure épaisse de cent microns (l’équivalent d’un cheveu).
De la population à l’individu
La fabrication d’un organoïde tumoral est suffisamment rapide pour que le patient puisse bénéficier d’un nouveau traitement s’il doit affronter un échec thérapeutique. Dans le cadre de l’essai clinique prévu pour 2021, une biopsie effectuée au tout début de la dernière ligne de traitement permettra de mettre en culture des milliers d’organoïdes – voire des dizaines de milliers – pour tester 26 médicaments et les combinaisons entre eux (pour des raisons de validité statistique, chaque molécule ou combinaison doit être testée sur plusieurs organoïdes). L’identification d’éventuelles options thérapeutiques pourra s’effectuer en trois à six semaines.
L’essai clinique inclura des molécules actuellement employées pour soigner d’autres cancers, mais qui n’ont pas fait preuve de leur efficacité générale sur les tumeurs digestives. « En passant de l’échelle d’une population donnée à celle d’un individu, on pourrait avoir de bonnes surprises », commente Fanny Jaulin.
Longtemps réservés à la compréhension de mécanismes biologiques, les organoïdes ont connu un début d’application clinique pour la lutte contre la mucoviscidose. En cancérologie, Organotreat-01 est le troisième essai clinique au monde – et le premier en France – après deux autres consacrés aux cancers du sein et du pancréas. C’est une piste extrêmement prometteuse dans ce domaine, souligne la chercheuse, car « on est capable de générer des organoïdes pour tous les types de cancers et tous les organes ». Une application en routine pourrait donc être imaginée à l’avenir, y compris dès les prochaines années. En attendant, une cinquantaine de patients sera intégrée à l’essai clinique à partir de janvier 2021.