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Reconstitution d’un Néandertal, photographiée le 6 septembre 2021 au Musée national des antiquités de Leiden (Pays-Bas) © ANP/AFP Bart Maat

Changement climatique, épidémies ? Les causes de l’extinction de Néandertal restent un mystère. L’étude d’un spécimen de la vallée du Rhône, dont la lignée a passé 50 000 ans sans échanger de gènes avec d’autres groupes, ouvre une nouvelle piste : celle de son isolement génétique. 

Néandertal a peuplé l’Eurasie jusqu’à environ 40 000 ans avant notre ère, cohabitant avec notre ancêtre Homo Sapiens, avant de disparaître. « C’est le dernier moment où il y a eu plusieurs humanités sur Terre, un moment stratégique et profondément énigmatique, car on ne comprend pas comment une humanité entière, qui existait de l’Espagne à la Sibérie, a pu subitement s’éteindre », rappelle Ludovic Slimak, chercheur au CNRS de l’Université Toulouse Paul Sabatier et co-premier auteur de cette étude publiée mercredi dans la revue Cell Genomics

Le spécimen, baptisé « Thorin » — clin d’œil au personnage de Tolkien — a été trouvé en 2015 dans la grotte Mandrin (Drôme), qui a abrité alternativement des populations de Néandertaliens et d’Homo Sapiens. La découverte est rare. Il s’agit du premier Néandertalien mis au jour en France depuis 1978. Dans toute l’Eurasie, on n’en dénombre qu’une quarantaine. « Dès que le corps est sorti de terre, j’ai envoyé un petit fragment osseux, un bout de molaire, à Copenhague aux équipes avec lesquelles on travaille pour la génétique. Ça faisait dix ans qu’on essayait d’avoir de l’ADN à Mandrin, que ce soit animal ou humain et on n’avait jamais vraiment réussi, car, dès qu’on sort les ossements du sol, l’ADN se dégrade très vite », raconte M. Slimak. Quand les résultats tombent, c’est l’incompréhension. Selon les analyses archéologiques, « ce corps avait entre 40 000 et 45 000 ans, mais pour les généticiens, il avait 105 000 ans. Il y avait forcément une des deux équipes qui se plantait », poursuit-il. 

Consanguinité 

Il a fallu sept ans de recherche pour trancher. Des analyses isotopiques ont permis de démontrer que Thorin vivait dans un climat très froid, correspondant à l’ère glaciaire que seuls les Néandertaliens tardifs ont connue.

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La mandibule de Thorin photographiée à la grotte Mandrin, le 29 août 2019 © Ludovic Slimak/CNRS/AFP Handout

Mais son génome est effectivement très ancien. « C’est un vestige des premières populations de Néandertaliens en Europe », indique dans un communiqué accompagnant l’étude le généticien des populations et auteur principal Martin Sikora de l’Université de Copenhague.

 « La lignée menant à Thorin se serait séparée de celle des autres Néandertaliens tardifs il y a environ 105 000 ans », selon lui. Puis cette lignée a passé 50 000 ans « sans aucun échange génétique avec les Néandertaliens européens classiques », y compris avec des populations qui vivaient à seulement deux semaines de marche, explique M. Slimak. Un isolement inimaginable chez son cousin Homo Sapiens, d’autant que la vallée du Rhône est, à l’époque, un des grands couloirs migratoires entre le nord de l’Europe et la Méditerranée. 

« L’archéologie nous disait depuis longtemps que les populations néandertaliennes vivaient sur de tout petits territoires, quelques dizaines de kilomètres autour d’un site donné », rappelle l’archéologue. On savait ainsi qu’ils vivaient en petits groupes, avec des problèmes de consanguinité. Chez Sapiens, « on va avoir des cercles infiniment plus larges, des territoires qui vont concerner des dizaines de milliers de kilomètres carrés. La diffusion d’objets, de coquillages, la sociabilité et la construction de réseaux sociaux extrêmement structurés sont un fond universel de tous les Sapiens », poursuit-il. Ces deux populations « ne comprennent pas du tout le monde, ne s’organisent pas au monde, de la même façon », ajoute l’auteur du « Dernier Néandertalien : comprendre comment meurent les hommes » (éd. Odile Jacob), selon qui ces éléments sont « une clé majeure de compréhension » de l’extinction de Néandertal.

 « Lorsque vous êtes isolés pendant très longtemps, vous limitez la variation génétique dont vous disposez, ce qui signifie que vous avez moins de capacité à vous adapter aux changements climatiques et aux agents pathogènes et cela vous limite également socialement, car vous ne partagez pas et n’évoluez pas en tant que population », souligne Tharsika Vimala, généticienne des populations de l’Université de Copenhague et co-première auteure de l’étude.