Les différences sexuelles chez les dinosaures à l’aune des statistiques
Publié le - par Véronique Marsollier
Déterminer le sexe d’un animal en fonction de sa morphologie est un exercice parfois aisé : les lions possèdent une crinière ; les paons mâles arborent des plumes de queues pouvant atteindre 1,50 mètre de longueur ; les aigles et les faucons femelles sont 30 % plus gros que les mâles… les exemples ne manquent pas ! Mais déterminer le sexe d’un dinosaure à partir de son fossile vieux de plusieurs millions d’années est une autre paire de manches ! C’est d’ailleurs un des problèmes récurrents auquel se heurtent les scientifiques.
Une équipe internationale, associant paléontologues et statisticiens, propose de surmonter cette difficulté grâce à une nouvelle méthode. En s’appuyant sur des données statistiques, ils sont à même d’estimer le degré de variation sexuelle au sein d’un ensemble de fossiles, et donc de corréler plus précisément certains traits spécifiques des ossements avec le sexe. Leur étude, parue le 27 aout 2020, est présentée dans la revue Biological Journal of the Linnean Society.
Distinguer le dimorphisme sexuel des variations individuelles
De nombreuses espèces d’oiseaux – les seuls dinosaures encore vivants – présentent un dimorphisme sexuel c’est-à-dire une variation importante entre mâles et femelles exprimées par la taille, le plumage, le comportement (vocalises, etc.) ou la physiologie (métabolisme…). C’est aussi le cas des crocodiliens, cousins des dinosaures. Les paléontologues de l’équipe proposent donc de partir du postulat qu’il existe de nombreuses différences entre mâles et femelles dinosaures.
Or toutes les différences chez les animaux de la même espèce ne sont pas obligatoirement liées au sexe. Chez les êtres humains, par exemple, si la taille moyenne est liée au sexe, les couleurs des yeux ou des cheveux ne le sont pas. Alors comment, chez les dinosaures, établir un lien entre un trait identifié et le sexe (en dehors des cas exceptionnels où l’on retrouve des spécimens avec des œufs ou des embryons dans le corps) ? Les plus gros dinosaures étaient-ils des femelles ? Les dinosaures à grandes crêtes des mâles ou vice versa ?
Ce n’est pas la première fois que des paléontologues tentent d’établir les traits du dimorphisme sexuel chez les dinosaures. Jusqu’à présent sans grand succès. Ils utilisent habituellement une méthode statistique appelée test de signification. Elle consiste à collecter un maximum de données, puis à calculer la probabilité que ces résultats obtenus aient pu se produire par hasard plutôt que par une cause réelle. C’est la même méthode qu’utilisent les médecins pour déterminer si un nouveau médicament est plus utile qu’un placebo. Mais ce type d’analyse fonctionne pour des ensembles de données « volumineuses et propres ».
Cependant, comme l’explique Evan Saitta, chercheur associé au Field Museum de Chicago et auteur principal de l’article, en ce qui concerne les dinosaures, « il y a peu de spécimens fossiles et ils sont souvent incomplets et mal conservés » : les données obtenues sont donc plutôt mauvaises, ce qui entraîne de nombreux faux négatifs. Il faut une quantité importante de variations entre les sexes pour déclencher un résultat de test positif.
Statistique de taille d’effet
Evan Saitta et ses collègues ont donc choisi d’expérimenter une autre forme de statistique, appelée « statistique de taille d’effet », qui donne de meilleurs résultats lorsque les données sont réduites. L’objectif est de tenter d’estimer le degré des différences entre les sexes (variations secondaires) et de calculer l’incertitude de cette estimation. Cette méthode statistique alternative prend en compte les variations naturelles sans considérer les dimorphismes sexuels qui sont souvent subtils.
Lorsqu’on « essaye d’estimer l’ampleur d’un effet (…), vous pouvez obtenir une estimation assez précise de la variation sexuelle même lorsque les sexes des individus sont inconnus », explique ainsi Evan Saitta. Les résultats sont associés à des simulations numériques pour évaluer si la méthode fonctionne. « Et ça marche, se réjouit Mike Benton, paléontologue de l’université de Bristol (Royaume-Uni) et co-auteur de l’étude, même si elle présente des imprécisions en particulier lorsqu’il n’y a pas de fortes différences physiques entre mâles et femelles. En tout cas c’est une réelle amélioration par rapport aux tests de significations », assure-t-il.
Constat fait chez le dinosaure Maiasaura : les spécimens adultes varient beaucoup en taille, et les analyses montrent que cette caractéristique est plus susceptible de correspondre à une variation sexuelle que pour d’autres différences observées chez d’autres espèces de dinosaures. Mais si les données actuelles suggèrent qu’un sexe est environ 45 % plus grand que l’autre, il est encore impossible de dire si les plus grands sont des mâles ou des femelles ! L'équipe compte bien approfondir cette méthode prometteuse en l'appliquant dorénavant à d'autres espèces de dinosaures.