Le pangolin, hôte intermédiaire du coronavirus ?
Publié le - par le blob avec l’AFP
Le pangolin, petit mammifère à écailles menacé d’extinction, est-il l’animal qui a transmis le nouveau coronavirus à l’homme ? Des chercheurs chinois ont avancé cette hypothèse vendredi, mais d’autres scientifiques appellent à la prudence et attendent une confirmation définitive.
Le pangolin, chaînon manquant ?
L’animal qui héberge un virus sans être malade et peut le transmettre à d’autres espèces est appelé « réservoir ». Dans le cas du nouveau coronavirus, il s’agit certainement de la chauve-souris : selon une récente étude, les génomes de ce virus et de ceux qui circulent chez cet animal sont identiques à 96 %.
Mais le virus de chauve-souris n’étant pas équipé pour se fixer sur les récepteurs humains, il est sans doute passé par une autre espèce pour s’adapter à l’homme. L’identité de cet animal intermédiaire fait l’objet de nombreuses interrogations depuis le début de l’épidémie.
L’hypothèse du serpent, un temps avancée, avait vite été balayée. Vendredi, l’université d’agriculture du sud de la Chine a jugé que le pangolin pourrait être « un possible hôte intermédiaire », sans toutefois donner beaucoup de précisions. On sait seulement que les analyses génétiques de virus prélevé sur les pangolins et les hommes étaient à 99 % identiques, selon l’agence étatique Chine nouvelle.
Ces éléments ne sont « pas suffisants » pour conclure, a tempéré un scientifique britannique, le Pr James Wood. « Les preuves de l’implication du pangolin n’ont pas été publiées dans une revue scientifique », critère indispensable pour accréditer cette hypothèse, a-t-il commenté. « Il faudrait voir l’ensemble des données génétiques pour connaître le degré de proximité entre les virus du pangolin et de l’homme », a renchéri un autre scientifique britannique, le Pr Jonathan Ball.
Le nouveau virus a fait son apparition en décembre sur un marché de Wuhan (centre de la Chine). Malgré son nom de « marché de fruits de mer », nombre d’autres animaux, dont des mammifères sauvages, y sont vendus pour être mangés. On ne sait pas si le pangolin en faisait partie. Lors de l’épidémie de Sras (2002-03), également causée par un coronavirus, l’intermédiaire était la civette, petit mammifère dont la viande est appréciée en Chine.
En quoi consiste cette enquête ?
Avant de cibler le pangolin, les chercheurs chinois ont testé plus de 1 000 échantillons provenant d’animaux sauvages. Ils ont vraisemblablement dû recenser tous les types d’animaux vendus sur le marché et faire des tests pour voir s’ils étaient porteurs du virus.
Pour cela, on réalise « un prélèvement pharyngé (dans la gorge, ndlr) et un prélèvement de selles », explique Arnaud Fontanet, de l’institut Pasteur. La virologue Martine Peeters, de l’IRD (Institut de recherche pour le développement), a enquêté en Afrique pour trouver l’animal réservoir du virus Ebola. Là aussi, la chauve-souris était en cause.
La chercheuse décrit des prélèvements sur cet animal : « On leur passe un écouvillon dans la bouche et un autre dans le rectum ». A défaut de disposer de l’animal lui-même, il faut également prélever des excréments dans la nature. « On a collecté des milliers de crottes dans de nombreux sites en Afrique », raconte Martine Peeters.
C’est sans doute aussi ce qu’ont fait les chercheurs chinois pour le nouveau coronavirus, d’autant que le marché de Wuhan a été fermé au début de l’épidémie. Fin janvier, une équipe chinoise avait dit « avoir réalisé 585 prélèvements sur des étals et dans un camion poubelle » du marché, et « avoir retrouvé le coronavirus dans 33 d’entre eux, indique le Pr Fontanet. Ils ne disent pas de quels échantillons il s’agissait, mais je pense que c’était des excréments qui traînaient sur les établis ».
Pourquoi est-ce important ?
Connaître l’animal qui a transmis le virus à l’homme pourra permettre d’empêcher ce virus de réapparaître, une fois que l’épidémie aura été jugulée. « C’est en interdisant la consommation des civettes et en fermant les fermes d’élevage qu’on avait pu prévenir toute réintroduction » du virus du Sras chez l’humain, rappelle le Pr Fontanet.
Si l’hypothèse du pangolin se confirme, la quête de l’animal responsable de l’épidémie causée par le nouveau coronavirus aura été rapide, comme pour le Sras. Pour d’autres maladies, cela peut prendre beaucoup plus de temps. « Dans le cas d’Ebola, les recherches du réservoir ont commencé en 1976 et les premiers résultats ont été publiés en 2005 », rappelle Eric Leroy, virologue et vétérinaire de l’IRD.
Pour le virus du sida, le VIH, « l’enquête a duré vingt ans » avant de pointer les grands singes, relève Martine Peeters.
Quelles menaces sur le pangolin ?
Près de 100 000 pangolins sont victimes chaque année en Asie et en Afrique d’un trafic illégal qui en fait l’espèce la plus braconnée au monde, largement devant les éléphants ou les rhinocéros, selon l’ONG WildAid. Leur chair délicate est très prisée des gourmets chinois et vietnamiens, tout comme le sont leurs écailles, leurs os et leurs organes dans la médecine traditionnelle asiatique.
En 2016, la Convention internationale sur le commerce d’espèces sauvages menacées d’extinction (Cites) a voté l’inscription des pangolins à son annexe 1, qui interdit strictement son commerce. Malgré cette mesure, leur trafic n’a fait que s’accroître, selon des ONG.
Et après ?
« Ce sont des contacts animaux sauvages-hommes qui sont à l’origine de ces transmissions, donc il faudrait laisser les animaux sauvages où ils sont », estime le Pr Fontanet.
En conclusion d’une étude publiée lundi dans la revue scientifique Nature, des chercheurs chinois ont préconisé « l’instauration d’une législation stricte contre l’élevage et la consommation des animaux sauvages ». Une mesure transitoire a d’ailleurs déjà été prise : fin janvier, la Chine a interdit le commerce de tous les animaux sauvages en attendant la fin de l’épidémie.
« À chaque fois on cherche à éteindre un incendie et, quand il est éteint, on attend le suivant », déplore quant à lui François Renaud, chercheur au CNRS. Selon lui, il faudrait « cartographier tout ce qui est potentiellement susceptible de transmettre des agents infectieux à l’Homme ». Il concède toutefois que cet « inventaire des risques » à l’échelle mondiale représenterait « un énorme travail » et nécessiterait d’importants financements.