La fumée des feux de forêt, une source infectieuse à ne pas sous-estimer
Publié le - par Véronique Marsollier
Au cours des trois dernières années, des feux de forêt de grande ampleur se sont déclarés dans les régions métropolitaines d’Australie, du Brésil et des États-Unis, entrainant non seulement d’importantes destructions, mais aussi des émanations de fumées toxiques sur de longues durées. Aux États-Unis, par exemple, en 2020, la qualité de l’air dans l’ouest s’est maintenue à des niveaux extrêmement malsains, voire dangereux, d’août à novembre.
Les conséquences pulmonaires et cardiovasculaires sur l’Homme de ces expositions sont reconnues et étudiées. Mais ce n’est pas le cas d’autres composants véhiculés par la fumée et potentiellement nocif pour la santé humaine : les bactéries et les champignons. C’est cet aspect méconnu que deux chercheurs spécialistes en pyro-aerobiologie et en maladies infectieuses de l’Université de l’Idaho et de Californie (États-Unis) mettent en évidence dans un article paru vendredi 18 décembre dans la revue Science.
Des micro-organismes transportés par les fumées
Issus des sols, des détritus et du bois, ces micro-organismes se diffusent dans l’air sous l’action de la chaleur et sont transportés dans les panaches de fumée. Ils deviennent alors des bio-aérosols, des particules suffisamment petites (de l’ordre du micromètre [μm]) pour être transportés dans l’air. Dans une précédente étude, Leda Kobziar, pyro-aerobiologiste et co-auteur de l’article, avait répertorié soixante-dix morphotypes microbiens en aérosol dans des fumées et, parmi eux, un sous-ensemble identifié à l’aide d’une analyse ADN avait révélé des espèces fongiques pathogènes et non pathogènes.
Certains organismes microbiens sont détruits lorsque certains seuils de températures sont atteints, mais ce n’est pas toujours le cas. La libération d’énergie pendant un feu de forêt varie dans l’espace et dans le temps, de sorte qu’il est possible pour certains micro-organismes d’échapper à la destruction par la chaleur.
Une fois en aérosol, les bactéries ou les spores inférieures à 5 μm de diamètre peuvent parcourir des centaines de kilomètres, selon le comportement du feu et les conditions atmosphériques, et être déposées ou inhalées sous le vent d’un incendie.
Des risques pour la santé ?
Composés de cellules fongiques et bactériennes et de leurs sous-produits métaboliques, certains micro-organismes sont connus pour affecter la santé humaine. Par exemple, les Centers for Disease Control and Prevention, aux États-Unis, considèrent la lutte contre les incendies comme une profession à risque de coccidioidomycose, une infection causée par un champignon pathogène bien connu pour être aérosolisé lorsque les sols sont perturbés.
Les émissions de fumée de grande intensité dues aux incendies de forêt sont transportées à travers les continents, augmentant les concentrations de particules dans des endroits éloignés. Néanmoins, les conséquences pour les populations côtoyant les feux, ou les pompiers en première ligne, qui passent souvent jusqu’à 14 jours consécutifs sur le terrain, sont probablement encore plus importantes, la concentration microbienne dans la fumée étant plus élevée près de la source d’un incendie.
Des analyses menées dans le cadre du programme FASMEE (Fire and Smoke Model Evaluation Experiment) tendent à montrer des taux croissants de certaines infections fongiques chez l’Homme et dans les zones où les incendies sont nombreux, de forte intensité et de longue durée. L’aspergillose, des moisissures invasives et le coccidioïdomycose, par exemple, ont tous été repérés dans l’ouest des États-Unis lors des incendies de 2020.
Or, à ce jour, très peu de recherches ont été menées sur les risques des bio-aerosols pour la santé humaine. Certes l’exploration des infections et l’utilisation d’antibiotiques dans les populations soumises à des quantités et des durées connues de fumée de feu de forêt est une première direction prometteuse, assurent Leda N. Kobziar, et George R. Thompson III, médecin spécialiste en infections fongiques, et co-auteurs de l’article.
Mais une approche multidisciplinaire – mêlant écologie du feu, microbiologie environnementale, épidémiologie, santé publique et maladies infectieuses et sciences atmosphériques incluant l’impact des microorganismes présents dans les fumées sur les populations humaines – doit se développer, estiment les auteurs. Une approche particulièrement pertinente, selon eux, alors que les feux de forêt sous l’effet du changement climatique sont plus susceptibles de devenir une norme saisonnière plutôt qu’un événement rare.