Faut-il forcer les gens à se faire vacciner ? Un débat ancien aux clivages profonds
Publié le - par LeBlob.fr, avec l'AFP
Faut-il forcer les gens à se faire vacciner ? L’idée, aussi ancienne que les vaccins eux-mêmes, ressurgit actuellement face au Covid et creuse toujours de profonds clivages entre gardiens des libertés publiques et défenseurs de la sécurité sanitaire.
L’Autriche imposera début février à tous les adultes de se faire vacciner contre le Covid, devenant le premier pays européen à le faire, après d’autres nations comme l’Indonésie.
Le sujet « fait l’objet d’un débat très intense », a reconnu fin janvier le chancelier autrichien, Karl Nehammer.
Comme dans d’autres pays, la vaccination obligatoire cristallise la polémique entre ses adversaires, qui y voient une profonde atteinte à la liberté individuelle, et ses partisans, dont nombre de soignants épuisés qui mettent en cause la responsabilité des non-vaccinés.
Ce débat n’a pas attendu la crise du Covid. Il ressurgit régulièrement depuis deux siècles, soit quasiment depuis l’invention du premier vaccin, contre la variole, à la fin du XVIIIe siècle.
Dès les années 1800 et 1810, certains pays scandinaves imposent la vaccination obligatoire anti-variole. Quelques décennies plus tard, en 1853, le Royaume-Uni adopte une loi emblématique en ce sens.
Paradoxalement, ces pays sont aujourd’hui ceux où règnent la liberté en matière de vaccination. D’autres, comme la France, imposent au contraire de nombreux vaccins, alors qu’ils ont été initialement lents à s’y décider.
« Au moment où la France a décidé l’obligation », au début du XXe siècle, « l’Angleterre l’a abandonnée et ne l’a jamais reprise », résume la médecin et philosophe Anne-Marie Moulin, qui a participé à de multiples concertations sur la vaccination obligatoire sous l’égide de l’État.
Ce double mouvement illustre l’histoire zigzagante de la vaccination obligatoire. Celle-ci s’est imposée ou a perdu son lustre selon les époques et les pays, parfois dans des circonstances plus politiques que sanitaires.
C’est le cas de la guerre franco-prussienne de 1870, lourdement perdue par la France. Moins bien vaccinés que leurs adversaires, les soldats français ont été nombreux à être frappés par la variole, ce qui a pu contribuer à leur défaite.
Dans les années suivantes, plusieurs pays européens en ont tiré les conséquences et imposé légalement le vaccin anti-variole. La France en fait partie même si, là encore, rien n’est simple : il a fallu trente ans de débats parlementaires agités.
Inversement, au Royaume-Uni, de violentes manifestations, notamment dans la ville de Leicester, ont poussé les autorités à revenir sur la vaccination obligatoire dans les années 1900.
L’obligation est donc rarement imposée ou supprimée pour des raisons purement sanitaires, d’autant que la santé publique est elle-même sujette à des modes fluctuantes.
Dans les années 2000, « les spécialistes de santé publique pensaient que politiquement, on ne pouvait plus obliger : (cela) semblait inutile, désagréable et antidémocratique », souligne Mme Moulin. En 2007, la France supprime notamment l’obligation vaccinale du BCG (contre la tuberculose) pour les enfants, cette maladie ayant quasiment disparu en France.
Ces considérations « impures », selon les termes de Mme Moulin, sont favorisées par la difficulté d’évaluer l’efficacité de l’obligation.
Nombre de pays, notamment scandinaves, enregistrent d’excellents taux de vaccination alors qu’ils laissent la liberté à leurs citoyens. Mais ce libre choix est-il une cause ou une conséquence de la bonne volonté à se faire vacciner ?
Autre difficulté : définir précisément ce qui constitue une obligation. À ce titre, la crise de la Covid a vu émerger un nouveau concept, comme en France, celui du pass sanitaire ou vaccinal.
Ce n’est pas une stricte obligation. Les citoyens gardent théoriquement le choix de se faire vacciner, mais s’ils ne le font pas, ils sont privés de nombreux endroits comme les restaurants.
Faut-il y voir une simple déclinaison dans la longue histoire de la vaccination obligatoire, ou une réelle nouveauté ?
« Il y a une vraie différence de fond », tranche l’historien français Laurent-Henri Vignaud. « Dans un cas, on dit : +c’est l’État protecteur qui prend ses responsabilités et qui vous dit ce qu’il faut faire+ ».
« Dans l’autre cas, c'est : +Faites ce que vous voulez, mais en fonction du choix que vous ferez, vous serez appelés à participer complètement à la vie sociale ou pas+ », conclut-il, y voyant la raison pour laquelle le Parti socialiste, représentant historique de la gauche française, défend la vaccination obligatoire.