En Europe, la vieille industrie de l'acier bousculée par le climat et la guerre
Publié le - par Le Blob avec l'AFP
Projet de construction de cinq usines neuves d'acier "vert" en Scandinavie, France et Espagne, fermeture de deux haut fourneaux au Royaume-Uni et menaces sur la pérennité de la sidérurgie italienne: la transition énergétique et la guerre en Ukraine bousculent la vieille industrie européenne de l'acier.
Au Royaume-Uni, berceau de la révolution industrielle au 19e siècle, la sidérurgie n'est plus que l'ombre d'elle-même avec l'annonce récente de la fermeture des deux derniers hauts fourneaux de Tata Steel à Port Talbot au Pays de Galles, et l'incertitude qui règne sur l'avenir de ceux de British Steel appartenant au chinois Jingye, à Scunthorpe (nord de l'Angleterre).
En Italie, le gouvernement vient de reprendre à Arcelor Mittal le contrôle des vieux hauts fourneaux Ilva de Tarente (sud), en état de quasi-faillite, dans l'espoir de trouver des repreneurs.
"En Grande-Bretagne comme en Italie, il s'agit d'usines qui ont été très mal entretenues dans le passé et très coûteuses à rénover", analyse Marcel Genet, expert en sidérurgie et fondateur de la société Laplace Conseil.
Selon lui, il faudrait "entre 1,5 et 2 milliards d'euros" pour moderniser Port Talbot en rénovant les laminoirs en aval "en piteux état", et pratiquement autant pour l'évolution des hauts fourneaux italiens à des standards climatiques acceptables.
Au total, l'Union Européenne a déjà annoncé 9 milliards d'euros d'aides publiques pour financer la décarbonation et la modernisation de sa sidérurgie.
Avec le ciment, l'aluminium, les engrais et la pétrochimie, l'acier est l'une des industries qui contribue le plus fortement au réchauffement climatique.
Ce métal est responsable de près de 8% des émissions mondiales de CO2 en raison de l'utilisation du charbon: chaque tonne d'acier produite dans un haut-fourneau traditionnel émet près de 2 tonnes de CO2.
Des aides massives ont été allouées à ArcelorMittal en France, en Belgique et en Espagne notamment, aux allemands ThyssenKrupp, Saltzgitter et Dilligen et à l'autrichien Voestalpine pour faire évoluer leurs procédés.
Ces sidérurgistes se sont engagés dans de vastes plans de verdissement avec l'objectif d'abandonner le charbon, tout en continuant de produire en Europe.
Dans un premier temps, ils parient sur des fours à arc électrique qui fondent et recyclent des ferrailles. Ensuite, sur des fours dits à réduction directe (DRI) qui désoxydent et fondent le minerai de fer avec du gaz, puis avec de l'hydrogène lorsque les capacités d'électrolyse le permettront.
Mais les montants gigantesques à investir sont difficiles à réunir sur fonds de hausse des coûts de l'énergie, de niveau record des taux d'intérêt et de la forte baisse des prix de certains matériaux. Thyssenkrupp vient ainsi d'annoncer une nouvelle perte importante au premier trimestre, plombé par les difficultés de sa branche acier.
A côté de la restructuration de la vieille sidérurgie, au moins cinq usines d'acier plus vert totalement neuves sont annoncées dans les prochaines années : trois en Scandinavie, une en France et une en Espagne.
"Hybrit, H2 Green Steel, et Blastr en Suède et Norvège, Gravithy à Fos-sur-Mer en France, et Hydnum en Castille en Espagne sont des unités nouvelles qui vont renouveler la totalité du procédé de fabrication de l'acier avec des fours électriques, une coulée continue et un laminage à chaud", souligne M. Genet.
"Leur financement est assuré, les technologies sont prouvées, ce qui fait que les usines sidérurgiques les plus anciennes et les plus fragiles en Europe vont probablement être contraintes de fermer", affirme-t-il.
Mais le climat n'est pas le seul élément perturbateur de la sidérurgie européenne.
La guerre en Ukraine, démarrée il y a deux ans, joue aussi un rôle imprévu dans la restructuration du secteur.
Le pays envahi par la Russie a perdu le contrôle opérationnel de deux aciéries, "les usines Azovstal et Ilych, qui avaient produit au total environ 8,6 millions de tonnes d'acier brut en 2021", a indiqué le PDG du groupe sidérurgique ukrainien Metinvest, Yuriy Ryzhenkov, dans une interview au quotidien français Les Echos en décembre.
Or il a besoin d'acier pour remplacer les rails de chemin de fer endommagés, fabriquer des armes ou des obus.
Metinvest, dont le siège est à Donetsk, a signé un protocole d'accord mi-janvier en Italie pour relancer l'aciérie de Piombino (centre).
Son PDG a aussi déclaré au Corriere della Sera qu'il pourrait étudier une "opportunité à Tarente", où le gouvernement cherche des investisseurs après la sortie d'ArcelorMittal.