Détection précoce du cancer dans le sang : de timides progrès
Publié le - par Barbara Vignaux
Détecter le cancer à un stade précoce, et donc améliorer les chances de guérison, grâce à une simple prise de sang, un procédé qu’on appelle « biopsie liquide » : c’est un rêve de bien des cancérologues – et pas seulement eux ! – depuis longtemps. Surtout dans les tumeurs qui restent longtemps invisibles, comme celles des ovaires ou du pancréas, et sont donc souvent détectées tardivement.
Depuis cinq ans, les travaux sur ce dépistage de l’avenir se sont beaucoup développés. Il consiste à rechercher dans le sang des biomarqueurs moléculaires, non plus pour suivre le développement de la maladie ou identifier des cibles à visée thérapeutique, comme cela est déjà pratiqué en cancérologie de manière régulière, mais pour détecter plus tôt certaines tumeurs.
Mutations circulantes
Parmi les biomarqueurs recherchés : des altérations de l’ADN qui « signent » la présence d’une tumeur dans l’organisme et circulent dans le sang – d’où leur nom de « mutations circulantes ». Prometteuse, cette technique est encore loin d’être au point, et ce pour deux raisons au moins. D’une part, elle entraîne beaucoup de « faux positifs », c’est-à-dire qu’elle identifie à la fois des mutations pathologiques – tumorales – et physiologiques – comme « l’hématopoïèse clonale », un phénomène ordinaire lié au vieillissement cellulaire. Un résultat positif ne signifie donc pas nécessairement la présence d’une tumeur, loin s’en faut.
D’autre part, les résultats sont très variables selon la technique exacte employée, le type de cancer et son stade – de la toute petite tumeur locale jusqu’à son développement métastasique – comme l’a montré une étude comparative parue le 30 mars dans Annals of Oncology.
Une étude pionnière
Jusqu’à présent, les biopsies liquides à visée diagnostique ont d’ailleurs été réalisées à titre expérimental, sur des individus déjà identifiés comme malades de cancer : pas question, pour l’heure, de recourir à un outil aussi aléatoire pour du dépistage de masse. Et c’est là que se situe la grande nouveauté de la recherche présentée dans la revue Science du 28 avril 2020 : « Pour la première fois, une équipe a procédé à des analyses de mutations circulantes de manière prospective », explique Suzette Delaloge, chef du comité de pathologie mammaire à l’institut Gustave Roussy (IGR), qui n’a pas pris part à cette étude. Les tests ont en effet été réalisés dans une cohorte de 10 000 femmes âgées de 65 à 75 ans, sans antécédent de cancer.
Le test utilisé, CancerSeek, avait fait l’objet d’une étude antérieure rapportée dans Science en février 2018. Il consiste à rechercher 2000 mutations dans 16 gènes – pour son volet mutations circulantes. Il inclut aussi la recherche de huit protéines : des marqueurs classiques déjà utilisés dans la prise en charge des cancers selon une méthode bien éprouvée.
Dans cette nouvelle recherche, le pourcentage de résultats positifs s’est établi à 4,9 % à l’issue d’un premier CancerSeek. De fait, la population étudiée – des femmes âgées – est plus à risque que la population générale. Pour réduire le nombre de faux positifs, un second test a été réalisé chez les mêmes personnes un mois plus tard, avec un résultat de 1,35 %. « Ce nouvel essai marque donc un progrès significatif en termes de spécificité, le nombre de faux positifs étant réduit grâce aux deux prélèvement sanguins réalisés à un mois d’écart », souligne Suzette Delaloge. Autre point positif : la réalisation de ce test n’a pas découragé les femmes de la cohorte de participer aux programmes conventionnels de dépistage comme la mammographie.
Des résultats en demi-teinte
Mais au total, les résultats sont en demi-teinte, voire décevants quant à l’efficacité d’un dépistage de cette manière. En effet, sur les 10 000 femmes suivies, 134 cas de cancer ont été confirmés. Mais seulement 26 de ces pathologies ont été détectées grâce à la détection de mutations génétiques par CancerSeek, dont neuf cancers du poumon, six cancers des ovaires, deux cancers colorectaux et un cancer du sein ; 12 autres l’étant grâce aux marqueurs protéiniques et 67 par des méthodes autres : imagerie conventionnelle ou symptômes.
En outre, pour le cancer des ovaires, la détection est intervenue à un stade avancé (stades 3 ou 4 sur une échelle de 1 à 4), et non pas au stade précoce (stades 1 ou 2) qui aurait permis une prise en charge satisfaisante. « La sensibilité de CancerSeek reste médiocre, avec 26 cancers détectés et seulement cinq au stade le plus précoce, ou stade 1. Par ailleurs, note Suzette Delaloge, l’étude ne livre pas de données sur l’impact psychologique du test – l’anxiété éventuellement provoquée ».
Un jalon est toutefois posé pour l’avenir. « Cela reste une excellente étude, la première de ce type, souligne la cancérologue. En outre, elle crée une cohorte de femmes qui seront suivies dans les années à venir. Cela permettra de disposer de nouvelles données et d’améliorer peu à peu le test et les résultats ».