Chlordécone : les cancers de la prostate considérés comme « maladie professionnelle »
Publié le - par LeBlob.fr, avec l’AFP
Les cancers de la prostate liés à l’exposition au chlordécone, un pesticide largement utilisé durant plusieurs décennies aux Antilles, sont désormais reconnus comme maladie professionnelle, selon un décret publié mercredi au Journal officiel. « C’était une décision attendue, particulièrement aux Antilles », a mis en avant le ministère de l’agriculture dans un communiqué mercredi matin.
Le chlordécone, pesticide interdit en France depuis 1990, a continué à être autorisé dans les champs de bananes des Antilles par dérogation ministérielle jusqu’en 1993, infiltrant les sols pour des centaines d’années, alors que sa toxicité et son caractère persistant dans l’environnement étaient connus depuis les années 1960. Plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.
Des élus des Antilles ont qualifié le décret « d’avancée (…) encore incomplète ». « L’empoisonnement au chlordécone n’est pas seulement le fait des professionnels de la banane, mais de l’ensemble des populations », a déploré auprès de l’AFP le maire écologiste de Pointe-à-Pitre, Harry Durimel. Olivier Serva, député de la majorité et président de la délégation Outre-mer à l’Assemblée nationale, a qualifié le décret « d’insatisfaisant » au regard des dispositions nécessaires pour bénéficier de l’indemnisation, qui entretiennent selon lui « le flou sur les personnes éligibles ». « Il y a une multitude de cancers – du sang, du côlon – qu’on a découverts chez un bon millier d’ouvriers agricoles et d’ayant droits », a réagi auprès de l’AFP Yvon Sérénus, président du collectif des ouvriers empoisonnés par les pesticides, qui demandent qu’ils soient aussi reconnus « maladies professionnelles ».
Le décret publié permet de créer un « tableau des maladies professionnelles relatif au cancer de la prostate provoqué par les pesticides », déterminant les conditions de prise en charge ainsi que la liste des travaux susceptibles de provoquer cette pathologie en milieu agricole. « Le terme de pesticides se rapporte aux produits à usages agricoles et aux produits destinés à l’entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi qu’aux biocides et aux antiparasitaires vétérinaires, qu’ils soient autorisés ou non au moment de la demande », selon le texte. Les travaux exposant habituellement aux pesticides sont effectués « lors de la manipulation ou l’emploi de ces produits, par contact ou par inhalation », « par contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités ou lors de l’entretien des machines destinées à l’application des pesticides », est-il précisé.
Cette mesure, destinée à faciliter l’indemnisation des victimes, s’inscrit dans une série d’actions menées par l’Etat dans ce dossier extrêmement sensible depuis des années aux Antilles et qualifié de « scandale environnemental » par le président Emmanuel Macron.
La publication de ce décret avait été annoncée à l’automne par le ministre de l’agriculture Julien Denormandie. Il ouvre aux agriculteurs concernés l’accès à un fonds créé en 2020, destiné à indemniser les personnes atteintes de maladies liées aux pesticides.
Dans le détail, tous les exploitants ou salariés agricoles pourront demander ce statut à deux conditions : qu’ils aient travaillé pendant au moins dix ans au contact du chlordécone, et que moins de quarante ans se soient écoulés entre leur dernière exposition et le diagnostic de cancer de la prostate. Ce sont les « durées généralement admises pour ce type de cancer », avait expliqué récemment le ministère de l’agriculture. Les personnes exposées moins de dix ans pourront tout de même faire une demande au niveau d’une commission régionale, avait-il précisé.
« Les personnes éligibles peuvent dès à présent se rapprocher de leurs caisses de sécurité sociale (…) pour déposer une demande d’indemnisation », indique mercredi matin le ministère de l’agriculture. Il précise qu’aux Antilles, le plan chlordécone IV – quatrième plan destiné à lutter contre les conséquences de cet insecticide, pour la période 2021-2027 – « prévoit un dispositif d’accompagnement spécifique des personnes concernées » qui « s’appuiera sur les associations présentes localement, dont notamment Phyto-Victimes et France Asso Santé Martinique, les centres communaux d’action sociale et les caisses générales de sécurité sociale ».
Le gouvernement s’est abstenu d’estimer combien de personnes pourraient être concernées par ces indemnisations. Il ne s’est pas non plus avancé sur le montant total.