Au procès du Mediator, l’Agence du médicament à la barre
Publié le - par le blob, avec l'AFP
Comment, malgré plusieurs alertes, le Mediator a-t-il pu être vendu jusqu’en 2009 ? Le tribunal a commencé mardi à s’intéresser au rôle de l’Agence nationale du médicament, en faisant venir à la barre une ancienne salariée, qui avait également travaillé pour les laboratoires Servier.
L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est, aux côtés de Servier, sur le banc des prévenus, jugée pour homicides et blessures involontaires. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), devenue l’ANSM en 2012 dans la foulée du scandale du Mediator, avait pour mission d’évaluer les risques sanitaires présentés par les médicaments.
Elle est « restée sourde » aux alertes, montrant « son incapacité à assurer un contrôle effectif réel du médicament », ont accusé les juges d’instruction, qui pointent dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal de « nombreuses anomalies et négligences, parfois fort suspectes ».
Catherine Rey-Quinio est le premier témoin à s’avancer à la barre. Cette femme de 61 ans a intégré l’Afssaps en 1998 comme évaluateur : elle était en charge des questions d’efficacité du médicament, et a ainsi évalué le Mediator.
Mais avant l’Afssaps, cette ancienne médecin généraliste a aussi travaillé entre 1990 et 1993 pour les laboratoires Servier. Il est important pour elle de témoigner car sa « probité a été mise en cause ». Elle dit avoir été accusée d’être « un espion Servier » et veut « lever tout doute sur une collusion ».
« Que saviez-vous du Mediator en 1998 ? », l’interroge la présidente Sylvie Daunis. « Peu de choses. Ce que j’avais gardé en mémoire depuis 1993 ». Le témoin évoque une « parenté pharmacologique ». « Les grandes sœurs, les cousines, c’était qui ? », questionne la magistrate. « Isoméride, Ponderal », reconnaît le témoin.
Quand Mme Rey-Quinio travaillait chez Servier, elle était en charge de l’Isoméride. L’Isoméride et le Ponderal sont des coupe-faim des laboratoires Servier, retirés du marché en 1997. A partir du milieu des années 1990, des alertes s’étaient multipliées sur les risques mortels associés aux anorexigènes.
« Conseiller personnel »
Ces deux médicaments partagent avec le Mediator un métabolite commun, la norfenfluramine, une substance toxique pour le cœur et les poumons. Ce dernier, présenté comme un antidiabétique mais largement prescrit comme coupe-faim, est lui resté sur le marché jusqu’en 2009.
Une situation bien différente de celle d’autres pays européens : en 2003, Servier avait renoncé à commercialiser le Mediator en Espagne et en Italie, dans un contexte de fortes pressions imposées par les autorités de santé espagnole et italienne. Utilisé par cinq millions de personnes pendant les 33 ans de sa commercialisation, le Mediator est tenu pour responsable de centaines de morts.
Une avocate de la partie civile, Me Stella Bisseuil, interroge Mme Rey-Quinio : « Je me demande si vous n’aviez pas les moyens d’être un lanceur d’alerte. Vous aviez travaillé chez Servier, sur l’Isoméride. Vous connaissiez le scandale Isoméride. Vous connaissiez le caractère anorexigène du Mediator. Est-ce que vous n’étiez pas la personne la plus appropriée pour vous lever et dire : +Il y a un problème !+ ? ».
« En toute humilité, je ne crois pas que j’avais les compétences », affirme le témoin, qui n’a cessé de mettre en avant son accès « limité » à des informations « filtrées ». « Je ne suis pas pharmacologue ! », se défend-elle.
Mais le témoin, sous une salve de questions des avocats et du parquet, admet que « peut-être » la question d’un retrait du Mediator aurait pu se poser « de manière plus précoce ».
Jeudi, sera entendu un ancien salarié de l’Afssaps, Jean-Michel Alexandre, mais qui est lui prévenu. Cet ancien directeur de l’évaluation des médicaments à l’Afssaps entre 1993 et 2000 est devenu juste après son départ « conseiller personnel » de Servier, mission pour laquelle il était rémunéré « très généreusement » selon les juges d’instruction.