Archéologie préventive, 20 ans de fouilles qui ont dépoussiéré l'Histoire
Publié le - par LeBlob avec l'AFP
Faire surgir du passé les habitats d'esclaves, les modes de production viticole gauloise, la hiérarchie sociale à l'âge du Bronze : au fil des découvertes, l'archéologie préventive, discipline née il y a vingt ans, a considérablement approfondi les connaissances historiques, bousculant parfois le récit national.
Le 1er février 2002, l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) voyait le jour, en application d'une loi votée après de longs débats parlementaires.
L'idée était de passer d'une archéologie de sauvetage, menée dans l'urgence au gré des travaux d'aménagement, à un travail en amont plus fin, destiné à sauvegarder des archives du sol mises en danger par les chantiers.
« Avant, les archéologues couraient derrière les pelleteuses ; maintenant, ils courent devant », résume-t-on à l'Inrap, plus importante structure de recherche archéologique d'Europe (2300 salariés).
Son président Dominique Garcia a pris pour exemple les fouilles de sauvetage menées lors de la construction de la pyramide du Louvre, dans les années 1980, « qui ont parfois effacé des vestiges, sans avoir pu en restituer en détail l'histoire ».
Passer du sauvetage à la prévention a donné plus de moyens pour ancrer les découvertes dans le temps, en leur apportant le contexte géographique, sociologique ou économique manquant.
Portée par l'accroissement des travaux d'aménagement du territoire, l'archéologie préventive s'est imposée comme une véritable discipline.
L'Inrap a expertisé en 20 ans près de 50000 sites, en a fouillé 5000 à travers la France, venant enrichir le fonds documentaire d'un million d'années d'histoire, du paléolithique à l'époque contemporaine. Et lui apportant un maillage territorial si fin que « c'est l'ensemble du territoire français qui s'est transformé en site archéologique », a déclaré Dominique Garcia.
Espaces littoraux, zones boisées, champs agricoles : cette archéologie « opportuniste » a pu enquêter là où l'histoire ne l'attendait pas forcément. Et écrire « non pas l'histoire des seuls monuments, mais celle de tout un pays ».
À partir de sépultures de l'âge du Bronze, les archéologues ont réussi à pointer des formes de hiérarchie sociale, jusqu'à évoquer l'existence de « tombes princières ». Ou révélé des champs où les Gaulois plantaient leurs vignobles, précieux indices d'une activité économique.
Faire parler les « muets de l'histoire »
Les découvertes ont parfois « bouleversé les paradigmes », analyse Isabelle Cattedu, archéologue à l'Inrap. Les fouilles des habitats et nécropoles du Haut Moyen-Age sont ainsi venues « déconstruire l'image d'un monde occidental qui se serait effondré brutalement au début du Ve siècle dans le sillage des invasions barbares », développe la médiéviste. Plutôt qu'un débarquement soudain de populations étrangères, ces lieux évoquent plutôt de « longs mouvements migratoires de groupes diversifiés qui se sont intégrés rapidement ».
Les dizaines de milliers de tombes mises au jour sont venues, elles, apporter un éclairage nouveau sur l'histoire du handicap, des épidémies ou de la génétique. Autant d'aspects oubliés des sources écrites, souvent « partiales et partielles car rédigées par les élites », selon Isabelle Cattedu.
De même, en révélant l'organisation des villages autour des châteaux, l'archéologie préventive a « redonné la parole à 90% de la population qui vivait dans les campagnes, ces muets de l'histoire ».
Ces aspects plus modestes du passé ont également surgi des terres ultramarines, révélant des structures d'habitats d'esclaves ou de petits paysans derrière l'écrasante domination des maisons de maîtres : une diversité sociologique qui a « renouvelé la compréhension de l'archéologie coloniale », souligne Séverine Hurard.
Spécialiste des périodes moderne et contemporaine, cette archéologue s'est récemment penchée sur les modes de vie des ouvriers du début de l'ère industrielle, à partir de déchets, pharmaceutiques notamment. « L'aménagement du territoire ne cesse de faire émerger de nouveaux sites. Il n'existe pas encore d'archéologie de la guinguette mais ça ne saurait tarder car l'archéologie préventive fait feu de tout bois », anticipe-t-elle.
La jeune discipline a donc de l'avenir, même si, faute de moyens, l'Inrap dit manquer de temps pour mettre « totalement en perspective les données acquises », selon son président.