200 mètres : une nouvelle piste pour de nouveaux records ?
Publié le - par Barbara Vignaux
« L’effet du virage, on sait le mettre en équations depuis peu », explique Amandine Aftalion, chercheuse du CNRS au Centre d’analyse et de mathématique sociales (CNRS/EHESS), qui travaille depuis cinq ans sur la modélisation mathématique de la course à pied sur des stades olympiques. C’est parce que les coureurs subissent « l’effet du virage », c’est-à-dire la force centrifuge, qu’ils se penchent dans les courbes.
Force centrifuge
Sur une piste d’athlétisme, le couloir intérieur est celui où la force centrifuge s’exerce le plus, le couloir extérieur celui où elle s’exerce le moins. Mais jusqu’à présent, « impossible d’estimer l’effet de la force centrifuge sur la stratégie globale de course en fonction du couloir et de l’athlète », précise la chercheuse.
C’est ce que sont parvenus à réaliser Amandine Aftalion et le chercheur de Sorbonne Université Emmanuel Trélat, en mettant au point un modèle mathématique basé sur des équations différentielles, qui couplent la mécanique et l’énergie du coureur, notamment sa consommation maximale d’oxygène et son stock d’énergie anaérobie (celle qui est mobilisée durant un effort intense de type sprint). Outre ces grandeurs, le modèle inclut aussi la vitesse, l’accélération, la force de propulsion et la motivation du coureur. Leur étude est parue hier dans la revue Royal Society Open Science.
Elle invite à « ouvrir la réflexion sur des stades d’athlétisme différents », explique Amandine Aftalion. En effet, les mesures standard actuelles – 84,3 mètres en ligne droite, et à chaque bout du stade, des demi-cercles de rayon 36,5 mètres – sont conçues pour inclure un stade de football ou de rugby. Mais en course à pied, elles entraînent des forces centrifuges sensiblement différentes aux deux extrémités, puisqu’un athlète courant à l’intérieur subit une force centrifuge équivalente à un tiers de son poids, contre un cinquième seulement sur le couloir extérieur.
Un gain potentiel de 4 centièmes
Entraîneurs et athlètes accordent eux-mêmes à la force centrifuge une importance toute relative, car ils considèrent en général que cet effet purement physique est « compensé » par un effet psychologique : l’athlète à l’intérieur de la piste voit ceux qui le précèdent et bénéficie donc d’une stimulation supplémentaire, contrairement à l’athlète placé à l’extérieur de la piste, site « aveugle ». En outre, les couloirs, tirés au sort avant la compétition, sont considérés comme une contrainte sur laquelle le coureur a peu de prise.
Et pourtant. Une piste de type standard, mais avec des lignes droites plus courtes — 60 au lieu de 84,3 mètres — et des rayons plus grands — 44,3 au lieu de 36,5 mètres — permettrait d’améliorer le record du 200 mètres de quatre centièmes de seconde. « On n’a en général pas conscience de l’importance de la force centrifuge, souligne Amandine Aftalion, mais pour les athlètes le gain de quatre centièmes de seconde est tout à fait significatif ! »
Une piste de nouvelles dimensions, ce n’est pas pour tout de suite, reconnaît toutefois la chercheuse — ni même pour 2024 : « Il faut d’abord que l’idée soit validée par la Fédération internationale d’athlétisme ; en revanche, elle pourrait, pourquoi pas, être testée par des sponsors sportifs ». La perspective est d’autant plus prometteuse que côté hommes, le précédent record du monde de 200 m — celui d’Usain Bolt, avec 19 s 19 — n’a pas été battu depuis dix ans, et côté femmes, celui de Florence Griffith Joyner — 21 s 34 — depuis plus de 30 ans.
Dans la vidéo ci-dessus, Amandine Aftalion (CNRS) propose une lecture mathématique du stade d'athlétisme et de la course du 100 mètres.