À Saint-Paul-lez-Durance, dans les Bouches-du-Rhône, ce colossal chantier est destiné à accueillir le réacteur expérimental ITER. Fruit d’une collaboration mondiale nouée il y a 35 ans, ce dispositif unique vise à dompter la fusion nucléaire, la réaction à l’œuvre dans les étoiles comme notre Soleil, pour produire une énergie électrique illimitée et quasiment propre.
Contrairement à la fission nucléaire utilisée dans les centrales actuelles, la fusion utilise des matières premières disponibles de manière presque illimitée. Elle pourra produire quatre fois plus d’énergie, en ne dégageant ni CO2 ni d’autre gaz à effet de serre. Enfin, elle ne produira pas de déchets nucléaires dits à haute intensité et à vie longue, c’est-à-dire ceux dont la gestion est aujourd’hui considérée comme la plus problématique.
Mais avant de conquérir ce Graal énergétique, il faudra des décennies de travail supplémentaires et de multiples expériences. Pour cela, ITER peut compter sur un pilote d’essai : le réacteur WEST opéré par le CEA, à quelques kilomètres seulement de là. WEST, comme ITER, est un tokamak, une chambre expérimentale de confinement magnétique du plasma.
Depuis son entrée en service, il y a un quart de siècle, WEST a subi plusieurs transformations pour devenir le jumeau en taille réduite d’ITER. Il permet ainsi aux ingénieurs et physiciens de mieux anticiper le fonctionnement du futur réacteur.
Philippe Ghendrih, Physicien (CEA) : « Les composants sur ITER ont été imaginés par des ingénieurs mais jamais mis en face d’un plasma. Notre rôle c’est de les faire souffrir, voir ce qu’il se passe quand on les met sous contrainte, quand on les opère, quand on dépose beaucoup d’énergie dessus, comment ils vieillissent… Est-ce qu'ils vieillissent vite ? - ce serait très mauvais - ou bien lentement, et comment faire pour qu'ils vieillissent lentement, etc.
Tout ça permettra de guider l’équipe d’ITER dans l'opération de sa machine à partir d'une expérience qui est beaucoup plus facile à suivre. Les gens d’ITER vont être terrifiés. Ils ont une machine qui est unique, un prototype unique dans le monde - toute l'humanité s'est réunie pour construire une machine - s’ils la cassent, ça va être absolument terrible ».
Car le plasma ne se plie pas sans réticence au bon vouloir des physiciens. Aux côtés du solide, du liquide et du gaz, le plasma est le 4e état de la matière, une matière dite ionisée, dans laquelle les électrons des atomes sont dissociés des noyaux. Dans ITER, l’objectif est de porter ce plasma à des températures comparables à celles du Soleil pour permettre la fusion des noyaux, qui génère d’énormes quantités d’énergie. Au cœur de la machine, une pièce essentielle pour WEST comme pour ITER : le divertor, une partie de l’enceinte interne directement en contact avec le plasma. Le divertor doit encaisser un flux de chaleur comparable à celui subi par une navette spatiale de retour dans l’atmosphère terrestre.
« Ce que l’on cherche à faire sur WEST, c’est le même genre de flux d'énergie que pour la navette, mais sur des temps longs, aussi longs que possible. Et en particulier, on cherche à atteindre l’équilibre thermique : les éléments reçoivent un flux d'énergie considérable, atteignent une température de l'ordre de 300° C, et se maintiennent à cette température. Avec le bouclier de la navette, la température ne fait qu’augmenter au cours de la traversée, et heureusement ça ne dure pas trop longtemps. Quand il y a un défaut dans la cuirasse de la navette - ce qui s'est produit une fois - ça détruit complètement la navette. On aura le même problème sur le divertor : Un défaut dans le divertor détruira le divertor ».
Pour viser ces temps longs, les réacteurs WEST et ITER sont munis d’un dispositif de refroidissement qui les distingue d’autres tokamaks en Europe et aux États-Unis.
« Il y a eu une première phase avec des composants qui n'étaient pas tous refroidis. Les travaux qui ont eu lieu là, c’était pour installer que des composants refroidis, des instruments de très haute technologie, qui permettent de maintenir ces composants soumis à des flux de chaleur gigantesques à des températures constantes. »
Concrètement, c’est de l’eau sous pression, à une température de 100 à 150° qui refroidit la machine.
« Là ils sont en train de vérifier que toute cette installation très sophistiquée tient la pression, tient cette eau chaude, tient les dilatations qui vont avec le fait qu'on met de l'eau chaude et sous pression. Et donc c’est ça l’opération d’aujourd’hui. Ce sont les tests de mise en pression de ces éléments. »
Les ingénieurs de WEST et ITER doivent donc résoudre un paradoxe : au centre de l’enceinte, le plasma doit atteindre des températures élevées nécessaires à la production d’énergie. Mais au contact de l’enceinte et en particulier du divertor, il faut un plasma dit « froid ».
« On a mis du tungstène partout qui est un élément très lourd en se disant que ça faciliterait l'opération. La règle d'or pour utiliser le tungstène, c'est que le plasma en contact avec le tungstène soit froid - au sens froid pour un plasma, c’est-à-dire 10 000 degrés. Il doit être à la limite de se changer en gaz. Mais porter le plasma qui reçoit beaucoup d'énergie à des températures aussi basses, c’est particulièrement difficile ; donc un des enjeux c’est de pouvoir baisser la température au maximum pour le plasma en contact avec le divertor tout en ayant la température la plus élevée possible à 10-20 cm de là ».
Le plasma, sur Terre, constitue un état instable et fragile. Dans les réacteurs, il est produit à partir d’une toute petite quantité de gaz.
« Dans cette machine qui fait 30m3, on va mettre un demi-verre de gaz aux conditions normales… Il n'y a quasiment pas de matière dedans. Il suffit de même pas une goutte d’eau pour arrêter le plasma… La goutte d'eau contient plus de matière que ce que vous mis déjà. Et par définition, la goutte d'eau est froide. C’est terminé, on a refroidi le plasma. »
En attendant que soit achevée la construction d'ITER, d’ici cinq ans, WEST permet donc de multiplier les expériences afin de mieux apprivoiser le plasma. Une étape indispensable sur le long chemin menant – peut-être – vers l’énergie de demain.