Bonjour, je suis Joël de Rosnay, prospectiviste, écrivain scientifique, et j'ai envie de parler d'une bizarrerie, à l'époque des années 80, qui a fait que j'ai douté de moi-même, et que je n'ai pas été jusqu'au bout de ce que l'on me proposait à l'époque. On est en 1988, en pleine crise de la mémoire de l'eau. Je rappelle que la mémoire de l'eau résultait de la publication de Jacques Benveniste, un scientifique que je connaissais très bien, et Jacques Benveniste me téléphone et me dit : "écoute Joël, tu sais, la crise qui en ce moment, le débat sur la mémoire de l'eau, j'ai besoin de gens comme toi pour refaire l'expérience de dégranulation des basophiles dans un de mes labos que j'ai réussi à garder, un labo secret, est-ce que tu serais d'accord de venir ?" Et je lui réponds, "écoute, moi je veux bien faire les manips que tu veux, mais c'est trop compromettant pour moi de m'associer à cette controverse sur la mémoire de l'eau. J'ai beaucoup de questions, j'ai beaucoup de doutes sur ta théorie des dilutions extrêmes qui va peut-être bien avec l'homéopathie qui te finance en partie mais ça, c'est pas mon truc. Donc si je viens pour te faire plaisir, je ne veux pas être reconnu". Il me dit, tu n'as qu'à te déguiser ! Je dis, je ne peux pas me déguiser, mais j'ai noté l'heure, j'ai noté l'adresse, j'ai mis une casquette, des lunettes noires, j'ai relevé le col de ma parka, je suis descendu du métro et j'ai commencé à marcher vers son labo provisoire, mais en marchant, je me suis dit que c'était pas possible pour ma carrière scientifique de me compromettre sur un sujet aussi controversé. Certes, c'est un ami que j'ai vu travailler, un bon chercheur de laboratoire, mais je pouvais pas ! Donc sur le chemin du laboratoire provisoire de Jacques, je me suis retourné, je suis reparti vers le métro et je suis rentré, en me critiquant moi-même de mettre dégonflé, mais finalement, voilà la bizarrerie, j'y suis pas allé.