Depuis plus de 100 ans, on essaye d'obtenir des supraconducteurs à haute température. Le 8 mars 2023, dans la revue "Nature", une équipe américaine de l'Université de Rochester prétend avoir mis au point un supraconducteur à température et pression quasi ambiante. Mais cette publication pose question. 0n a ce groupe américain de l'Université de Rochester qui vient d'annoncer et même de publier dans la célèbre revue "Nature" un article où ils annonce avoir découvert un matériau qui serait supraconducteur à nos températures vers 20 degrés. Alors pour qu'il devienne supraconducteur, il faut appuyer dessus. Donc il est supraconducteur sous pression mais cette pression est relativement faible pour nous les physiciens. Alors la pression, c'est quand on appuie sur quelque chose. Elle vaut quand même 10 000 fois la pression de l'atmosphère telle qu'ils la mesurent. Ça veut dire que leur matériau deviendrait supraconducteur à nos températures, si on appuie dessus 10 000 fois plus que dans l'atmosphère. Alors ça peut sembler énorme. En fait, c'est des valeurs assez ridicules dans les laboratoires de physique où on sait faire 100 000 voire un million de fois plus. On a là l'un des enjeux majeurs de la physique du 20e et du 21e siècle. Ça fait plus de 100 ans qu'on a découvert la supraconductivité. Et depuis plus de 100 ans, on essaye d'obtenir des supraconducteurs à haute température. A haute température, pour nous, c'est 20 degrés, déjà ça nous suffirait. Il se trouve que les supraconducteurs, c'est quoi ? C'est la plupart des métaux qu'on connait. L'aluminium par exemple, ou le plomb ou l'étain. Ce sont des matériaux qui, à chaque fois quand on les refroidit, mais quand on les refroidit beaucoup, se mettent à conduire le courant parfaitement et en même temps, font léviter les champs magnétiques et les aimants. Donc si on arrivait à trouver ces matériaux-là à nos températures, il y aurait plein d'applications incroyables : dans le monde du transport, dans le monde du transport d'électricité évidemment, puis dans des gadgets de la maison. Par exemple, on pourrait avoir des vêtements qui lévitent au-dessus de nous ou on pourrait imaginer plein d'autres applications. Le problème, c'est qu'actuellement, il faut les refroidir à des températures au moins de l'ordre de l'azote liquide, c'est-à-dire moins 200 degrés, pour que ça marche bien. Donc on se sert déjà de supraconducteurs mais dans des applications très restreintes, par exemple, dans les IRM, dans les hôpitaux. Il faut être très prudent... Vous m'avez interviewé sur ce même canal il y a deux-trois ans sur un papier fait par la même équipe où ils avaient trouvé là encore un supraconducteur à température ambiante mais il fallait appuyer dessus un million de fois la pression atmosphérique. Il y a deux-trois ans, j'étais très enthousiaste. Je vous avais dit : "c'est incroyable comme découverte". Il se trouve que depuis, ce papier a été rétracté, c'est-à-dire qu'il est retiré de la revue parce qu'il y a un problème. Donc si on prend un peu de recul, ce nouvel article pose plein de questions passionnantes dans le champ des sciences et de la physique, c'est-à-dire comment réagir face à une publication sur des gens dont on doute déjà un peu de leur façon de faire de la science. Et là, on a une sorte de cas d'école de tous les signaux rouges qui s'allument clignotants et disent : "méfions-nous de cet article". Le premier signal : les antécédents. Méfiance vis-à-vis de l'équipe qui a déjà montré des comportements un peu douteux dans le passé. Deuxième warning où il faut vraiment s'inquiéter. On se rend compte dans la façon dont les auteurs ont analysé leurs données qu'il y a des choses étranges et très "limites". Je vous donne un exemple sans rentrer dans les détails techniques. Ils voient une courbe qui est la résistance en fonction de la température. C'est vraiment le signe que le matériau est supraconducteur. En gros, la résistance, elle fait comme ça et soudain, "pouf", elle tombe à zéro parce que ça conduit parfaitement le courant. Quand on regarde la courbe dans l'article de "Nature", elle est absolument parfaite. En dessous de la courbe, ils disent : "allez voir dans les supplementary material -c'est-à-dire tous les détails techniques- la façon dont on a obtenu la courbe." Et quand on va creuser, on se rend compte que la courbe obtenue, c'était pas du tout ce qu'ils avaient mesuré. En plus, la data brut, on la voit jamais vraiment. Ce sont d'autres physiciens en ligne qui, en analysant leurs data, sont remontés aux data brutes. Donc on n'a pas toutes les informations. Le troisième warning, c'est que quand on leur dit : "votre découverte est incroyable, donnez-nous l'échantillon et on va vérifier que ça marche", ils ne veulent pas. Ça, c'est un mauvais signe chez les scientifiques. En général, quand il y a une découverte, surtout quand c'est une découverte majeure, on prête son échantillon aux autres. On ne dit peut-être pas comment l'obtenir exactement mais au moins on le prête aux autres pour qu'ils vérifient la mesure. Et dans toutes les découvertes majeures passées dans ce champ-là, c'est comme ça qu'on a fait et qu'on s'est rendu compte si les choses marchaient ou pas. Donc tout ça me fait dire qu'il faut être très prudent. Je dirais que c'est à la fois du bon et du pas bon. C'est une catastrophe ! Comment "Nature" a pu accepter de refaire un papier, avec autant de doutes, si peu de temps après ? Comment c'est possible qu'eux-mêmes ne veuillent pas prêter leurs data, etc ? Là, il y a vraiment un truc qui ne va pas et qui ne fonctionne pas bien. D'un autre côté, j'y vois un côté très positif. C'est qu'en deux jours après la publication, tous les scientifiques en ligne se sont mis à commenter, à étudier, à récupérer les données, à discuter entre eux, etc, sur plein de sites. Ça s'est fait grâce à Internet et ça a créé des sortes de communautés en ligne qui ont très vite essayé de déconstruire le problème. Ça nous dit que l'échelle de temps de la science, elle colle mal à celle des médias. On a envie de choses spectaculaires, de tout de suite les mettre à la une. Mais en sciences, il faut se poser et prendre quelques mois pour essayer de refaire les choses, les mesurer. Et c'est seulement au bout d'un à trois ans qu'on sait s'il y a vraiment une découverte ou pas. Donc rendez-vous dans 3 ans !