Certains détails ne trompent pas…
Sur le site du CEA, à Saclay, il y a ça et là des indices du fait qu’ils sont quelques-uns, ici, à aimer regarder le ciel, pour y scruter les étoiles.
Etienne Burtin et Christophe Yèche sont de ceux-là.
Ces 2 astrophysiciens ont participé ces dernières années à la réalisation de la carte de l’univers en 3 dimensions, la plus vaste et la plus complète jamais effectuée.
Publiée le 20 juillet dernier, cette carte est le fruit de 20 ans d’observation, réparties en 4 grandes phases de relevés, et regroupant des centaines de chercheurs dans le monde entier.
Une course de fond pour une nouvelle cartographie de l’espace…
Cette carte présente tout ce que nous avons mesuré. Donc ici, vous voyez les galaxies un peu plus lointaines. Au centre, c’est la Terre, d’où nous avons effectué les mesures. Et il y a deux grands secteurs sombres, en haut et en bas qui correspondent à l’obscurcissement dû à la Voie Lactée. Elle barre le ciel, et donc on va mesurer de chaque côté de cet obstacle.
Cette cartographie recense les positions de pas moins de 4 millions de corps célestes…
Des galaxies jeunes, d’autres plus anciennes, ou encore des quasars, c’est-à-dire des trous noirs supermassifs qui génèrent des bouffées de lumière extrêmement puissante, et donc visibles de très loin.
Comme sur toute carte, chaque objet est positionné grâce à ses coordonnées « x » et « y ».
Mais ce relevé a quelque chose en plus, et qui fait toute sa valeur : il précise aussi l’éloignement, c’est-à-dire la distance à la Terre.
Or dans l’espace, plus on regarde loin, plus on remonte dans le temps.
Cette carte est très importante car elle a permis de reconstruire l’univers dans différentes périodes. L’univers, il a 14 milliards d’années. Ces objets que l’on a pu observer, nous couvrent différentes périodes. On a des objets très lointains, comme les quasars, qui nous permettent d’aller observer l’univers quand il avait 2-3 milliards d’années. C’est donc de la lumière qui a mis 12 milliards d’années pour venir jusqu’à nous. On a des objets plus proches, comme des galaxies rouges qui sont proches de nous. Et cette lumière-là a été émise il y a quelques milliards d’années.
Et c’est là, l’un des apports majeurs de cette nouvelle carte : remonter l’histoire cosmologique sur 12 milliards d’années ; les précédents relevés dépassaient difficilement les 6 milliards d’années.
De quoi en savoir plus l’histoire de l’expansion de l’univers.
Les observations de ce programme, appelé SDSS, ont été effectuées grâce à un instrument dédié : le Sloan.
Un télescope de recherche optique doté d’un miroir de 2,5 mètres de diamètre, et situé dans le sud des Etats-Unis, au Nouveau-Mexique.
Témoin de ces milliers d’heures d’observation, ce grand disque d’aluminium perforé conservé dans les bureaux du CEA, un élément-clef pour relier le télescope, à son spectrographe.
Voilà l’une des 3000 plaques utilisées pour le relevé SDSS. Elle fait à peu près 5kg, 1 mètre de diamètre.
Cette plaque est percée d’une myriade de petits trous, d’à peine 1,5 mm de diamètre.
Leur disposition n’est pas aléatoire, bien au contraire : chacun sert à l’observation d’un objet céleste particulier.
Ils ont été perforés avec une précision de l’ordre de 10 microns, 5 fois moins que l’épaisseur d’un cheveu…
Dans chacun de ces trous, on va venir mettre une fibre optique, qui va emmener la lumière de l’objet astrophysique sur un spectrographe qui va nous servir à mesurer le spectre de l’objet. Dans le spectre de l’objet, il y a des longueurs d’onde caractéristiques, qui vont nous renseigner sur la distance à laquelle l’objet se trouve de nous, et aussi nous permettre de confirmer l’identité du type d’objets astrophysiques dont on parle.
Dans ces plaques d’aluminium sont fichées jusqu’à 1000 fibres optiques, elles-mêmes reliées à un spectrographe, qui décompose la lumière de l’objet céleste observé, en fonction de ses longueurs d’onde.
Christophe Balland a lui aussi participé au programme SDSS.
Pour déterminer l’éloignement des objets célestes, la fameuse 3ème dimension de la carte, les chercheurs s’appuient sur un phénomène particulier : le « décalage vers le rouge » ou redshift en Anglais.
Voilà donc ce que l’on voit ici de manière un peu schématique, c’est donc le décalage vers le rouge des raies spectrales. Ce schéma, on va le retrouver dans l’objet qui s’éloigne de nous, mais décalé vers les grandes longueurs d’onde. On a les courtes longueurs d’ondes à gauche, et les grandes longueurs d’ondes à droite. Et les grandes longueurs d’ondes sont rouge, d’où cette idée de décalage vers le rouge.
Le redshift est proche de 0 pour les galaxies voisines de la Voie lactée et va jusqu’à 3 pour les quasars les plus reculés.
SDSS avait un fonctionnement tellement bon qu’à un moment, on l’a appelé « l’usine à redshift ». Des plaques comme ça, on arrivait à en passer dans les grandes nuits une dizaine. Donc chaque nuit, on mesurait le spectre de 10.000 objets.
Un rythme d’observation très soutenu…
Et pourtant, déjà insuffisant pour les chercheurs.
Fini SDSS, et son dernier relevé, eBOSS : place désormais au nouveau programme, DESI, avec un téléscope en Arizona, de 4 mètres de diamètre, presque 2 fois plus large que le précédent.
Au CEA, Christophe Magneville, responsable des développements techniques pour DESI,finit de sceller un capteur CCD, véritable petit bijou technologique.
Grosso modo, c’est ce que l’on a tous dans nos appareils photos. Sauf que là, il est très grand : 6cm par 6 cm. Et surtout, il est très uniforme et sensible. Beaucoup plus que dans les appareils photos classiques. C’est un beau bébé… Ce genre d’objet coûte environ 50.000 euros. Ils sont envoyés dans des containers spéciaux et stockés dans un coffre-fort.
Avec DESI, on change d’échelle.
Le programme regroupe plus de 500 chercheurs pour un télescope capable d’observer 5000 objets simultanément, 5 fois plus qu’auparavant.
Oubliés les disques métalliques installés à la main…
De minuscules positionneurs robotisés se chargent d’orienter les fibres optiques dans la bonne direction.
Avec un objectif : en savoir plus sur l’histoire de l’expansion de l’univers.
Actuellement, la communauté scientifique est divisée sur sa mesure… tout comme sur ce qui semble en être la cause : la mystérieuse… énergie noire.
L’idée d’énergie noire vient d’une observation qui a donné le Prix Nobel dans les années 2010. A cause de la gravitation qui a tendance à freiner l’expansion de l’univers, on aurait du observer une décélération de cette expansion de l’univers. Et c’est tout le contraire qu’on a observé. L’univers est en expansion et cette expansion est accélérée. D’où le concept « d’énergie noire. »
On a devant nous beaucoup de travail et les générations futures certainement aussi, pour essayer de comprendre ce que c’est que cette énergie noire. Et nous, notre contribution, c’est à travers cette mesure de l’histoire de l’expansion de l’univers, qu’on puisse en savoir plus sur cette énergie noire.
Mieux comprendre l’énergie noire : c’est là l’un des principaux défis de la cosmologie actuellement.
Un défi de taille…
Car les chercheurs estiment que cette énergie noire constitue pas moins de 70% de l’énergie totale présente dans l’univers.