Cœlacanthe Marc Herbin C'est pas un poisson préhistorique, c'est pas un fossile vivant, c'est un animal qui a évolué comme plein d'autres animaux. C'est encore un animal très énigmatique parce que même s'il est dans nos collections, on connaît très peu de sa vie puisque ce sont des animaux qui vivent à des grandes profondeurs et qui sont nocturnes. Donc on a du mal à les voir et ils sont dans des zones où personne ne va. Voix off – COMMENTAIRE 1 Ce poisson mystérieux… – vous l’avez peut-être deviné – c’est le… cœlacanthe. Extrêmement rare, pouvant mesurer jusqu’à deux mètres pour un poids de 110 kg, le cœlacanthe vit à plus de 100 mètres de profondeur. On ne connait que deux espèces. L’une vivant au large des Célèbes en Indonésie, l’autre, l’espèce africaine, réside dans les eaux du détroit du Mozambique où subsisteraient quelques milliers d’individus seulement. Rares sont les humains à pouvoir les observer dans leur milieu naturel. Le cœlacanthe est donc classé parmi les espèces en danger critique d’extinction par l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature. Marc Herbin Le seul qui a survécu aux grandes crises, c'est un cœlacanthe qui a sûrement migré dans les grandes profondeurs et échappé aux grandes crises du tertiaire. Voilà, donc on pensait qu'il avait disparu, que le groupe entier des cœlacanthes avait disparu, comme beaucoup d'animaux, et de plantes d'ailleurs à cette époque-là, mais non, il y en a qui ont survécu. VOIX OFF - COMMENTAIRE 2 Jusqu’à présent, on pensait qu’il pouvait vivre une vingtaine d’années, faute de données fiables. Or une nouvelle étude menée par des chercheurs français, de l’Ifremer et du Museum national d’Histoire naturelle révèle la durée de vie réelle du fabuleux poisson et précise son âge de gestation… une découverte rien de moins qu’étonnante… Marc Herbin L'étude se base sur uniquement l'espèce africaine, et les spécimens que nous nous avons dans la collection au Muséum d'Histoire naturelle sont des spécimens qui viennent des Comores et qui ont été pêchés à partir des années 50 jusqu'aux années 70. A cette époque-là, les animaux n’étaient pas sur la liste de Washington des animaux qu'il ne faut absolument pas prélever dans la nature. On a la chance, au Muséum, d'avoir une des plus grosses collections officielles de cœlacanthes, donc on a 300 échantillons de cœlacanthes qui proviennent d'une trentaine d'individus et l'étude qu'on a faite se base sur 25 spécimens de cette collection, plus deux spécimens qui viennent des collections d'Allemagne Voix OFF – COMMENTAIRE 3 Le comportement et le mode de vie du cœlacanthe sont encore largement méconnus, mais les chercheurs en savent un peu plus aujourd’hui grâce à une technique basée sur l’étude des écailles. Marc Herbin On a prouvé que oui, ces animaux vivaient plus d'une centaine d'années. On a réussi à identifier, grâce à l'étude des écailles, que les cœlacanthes pouvaient vivre au moins 100 ans, donc ça c'était la première information importante. La deuxième, c'est qu’en pouvant analyser les écailles chez des fœtus qui n'étaient pas encore nés, on a pu estimer la durée de la gestation d'une femelle, qui va jusqu'à cinq ans. Donc c'est un record pour un vertébré puisque, pour faire une comparaison, l'éléphant c’est deux ans. Là, le cœlacanthe, c’est cinq ans. Et une autre donnée qui a été aussi une des plus surprenantes, c'est la date de maturité sexuelle à laquelle les animaux peuvent se reproduire. En fait, ces animaux en moyenne c'est autour de 55 ans, donc c'est très tard, même pour des animaux qui vivent une centaine d'années. Imaginez, si vous pêchez une femelle pleine ou un adulte en état de se reproduire, ça a un impact énorme au niveau écologique et de la conservation de cette espèce. Voix off – COMMENTAIRE 4 Les techniques employées au laboratoire de sclérochronologie de Boulogne-sur-Mer ont permis de retracer les traits d’histoire de la vie du cœlacanthe, prouvant ainsi qu’il s’agit bien d’un poisson à croissance lente avec une reproduction tardive. Une spécificité qui le rend beaucoup plus vulnérable qu’on ne le pensait. Kelig mahe Le cœlacanthe, c'est un poisson qui a un métabolisme très lent, il se déplace très lentement. Il a plein de critères qui font qu’on s'attend à finalement à ce qu'il ait une croissance très lente. Le cœlacanthe vit profond donc souvent les espèces profondes vivent très lentement. C'est le cas, par exemple, des espèces comme les espèces de poissons en Ouest-Ecosse où on a certains poissons qui peuvent atteindre jusqu'à un siècle, voire 110 - 120 ans d'âge limite. On s'est basé sur tous les poissons qui avaient été observés jusqu'à l’heure actuelle et on a regardé leur taille, et on a réestimé leur âge. Et donc ça a montré qu'à peu près tous les poissons commençaient à se reproduire à l'âge de 55 ans. Donc 55 ans, c’est à peu près la moitié de leur vie. Ça, c'est le premier point, extrêmement important. Deuxième point, ça a été la durée de gestation. Donc la durée de gestation pour une femme, c'est neuf mois. Là, pour le cœlacanthe, on est allé réestimer les écailles des poissons qui étaient présents dans les femelles gestantes et on a pu voir que finalement, c’était 5 ans. Donc le petit grandit dans le ventre de sa mère pendant cinq ans avant de pouvoir sortir Voix off – COMMENTAIRE 5 Pour réévaluer les données admises jusqu’à présent, les chercheurs ont donc utilisé, pour la première fois sur le cœlacanthe, une technique basée sur la lumière polarisée. Le principe ? Diffuser une lumière avec une incidence indirecte sur certaines pièces calcifiées du poisson comme les écailles. Au microscope, on aperçoit alors de façon très précise des « circuli » équivalents des cernes d’un tronc d’arbre. Ce sont ces anneaux de croissance qui permettent de connaître précisément l’âge et toute l’histoire du poisson, année après année. Kelig Mahé On a travaillé sur plusieurs écailles de chaque individu parce que tout simplement, une écaille c'est un peu comme un cheveu. Une écaille, pour un poisson, s’il est frotté, il peut perdre une écaille. Une nouvelle écaille va prendre sa place et donc on va perdre toute l'histoire de vie vécue par l'ancienne écaille. On a vu que sur des écailles, quand vous étiez en lumière polarisée, on avait à peu près un âge qui était multiplié par cinq par rapport à ce qui avait été déjà observé. Donc là où un poisson finalement pouvait vivre jusqu'à 25-30 ans, x 5, ça fait qu’on a pu réestimer que le cœlacanthe vivait jusqu'à 1 siècle. Il y avait deux femelles qui était gestantes, donc deux femelles qui possédaient des petits en elles. On a pu extraire les écailles sur ces petits qui étaient présents dans le ventre des mères. Ce qui a été difficile, c'est que d'habitude, on est sur des espèces commerciales, on est sur plusieurs centaines, voire milliers d'individus. Là, le cœlacanthe, on est sur 25 poissons. Donc c'est plus difficile parce qu'il faut réussir à extraire beaucoup plus d'informations sur peu d'individus. Voix Off – COMMENTAIRE 6 Cette étude a permis de déterminer l’âge, la période de gestation, celle de la maturité sexuelle du poisson, mais de nombreuses questions restent encore en suspens... Son mode reproduction par exemple, reste un mystère. À quel rythme se reproduit-il ? Et ses petits, grandissent-ils dans des nurseries ? Comment s’alimente-t-il ? Est-il chasseur ou plutôt opportuniste comme les murènes ? Est-il sédentaire, migre-t-il dans sa vie et si oui, où ? Ce qui est certain, c’est que plus on en aura une meilleure connaissance, mieux le cœlacanthe sera protégé. Car l’espèce, actuellement, du fait de sa physiologie et de toutes les menaces anthropiques, est plus en danger qu’on ne le pensait, un comble pour un animal plus vieux que les dinosaures !