AU TABLEAU ! Étienne Klein
Aujourd'hui je vais revenir sur la formule la plus connue de la physique, qui est la formule d'Einstein, E=mc2, en commençant par donner quelques ordres de grandeur. Donc cette formule s'écrit sous la forme E=mc au carré, et « c » c'est la vitesse de la lumière. C'est 3,10 puissance 8 mètres par seconde. Donc si je prends par exemple un morceau de matière qui pèse un gramme. Donc m=1g, c'est-à-dire un millième de kilo, 10 puissance -3 kg, eh bien l'énergie de masse contenue dans ce corps, c'est donc E= (la masse) 10-3 kg fois le carré de la vitesse de la lumière, c'est-à-dire 9, 10 puissance 16, et l'unité en question ce sont les joules. Donc ça donne 9, 10 puissance 13 joules. C'est-à-dire 90 000 milliards de joules. Alors pour comprendre à quel point cette énergie est considérable, il faut la comparer aux modifications d'énergie qu'on peut exercer sur un corps. Par exemple, on peut chauffer un corps et augmenter donc son énergie totale, on peut aussi le laisser tomber et donc lui conférer de l'énergie cinétique qui provient de la vitesse qu'il a – qu'il acquiert dans un champ de gravitation. Mais l'augmentation d'énergie qu'on peut donner à un corps comparée à l'énergie qu'il a déjà, du fait qu'il est massif, est négligeable. Et c'est pourquoi ces quantités gigantesques d'énergie nous sont en général cachées. Il existe toutefois des situations dans lesquelles la formule E=mc2 se manifeste vraiment. Alors on peut évidemment la lire dans les deux sens. Soit de gauche à droite, soit de droite à gauche. Quand on la lit de droite à gauche, on a des situations dans laquelle la masse d'un corps devient de l'énergie. Et c'est cette possibilité qu'exploite la production d'énergie nucléaire. Qu'est-ce qui se passe si on prend par exemple, des noyaux d'uranium, qui sont des noyaux lourds, il y a 92 protons dans un noyau d'uranium ? Et si on prend l'isotope de l'uranium qui est l'isotope 235, qui contient donc dans chaque noyau 92 protons et 143 neutrons, eh bien on a un corps qui est, comme on dit, fissile. C'est-à-dire qu'un noyau d'uranium, lorsqu'il est percuté par un neutron, va se couper en deux. Donc à partir d'un gros noyau de départ, on va avoir – qui est percuté par un neutron – on va avoir formation de deux noyaux plus petits qui vont libérer, lors de leur fission, d'autres neutrons. Deux, parfois trois. Et ces neutrons vont, à leur tour, pouvoir percuter d'autres noyaux d'uranium. Mais ce qui est intéressant ici, c'est que lorsqu'on pèse le système initial, lorsqu'on mesure sa masse, et qu'on compare la masse initiale à la masse du système final, c'est-à-dire deux noyaux produits par la fission et des neutrons qui sont libérés par la fission, on trouve que cet ensemble-là est plus léger, a une masse plus faible que le système initial. Autrement dit, il y a de la masse qui a disparu dans cette interaction. Ce qui veut dire que si la masse a disparu, c'est qu'elle s'est transformée en énergie. En l'occurrence, en énergie cinétique des deux noyaux produits par la fission, et c'est cette énergie cinétique que, par différents stratagèmes, on va récupérer pour produire de l'énergie électrique. Donc la, la – le nucléaire civile, disons, exploite cette formule d'Einstein dans le sens où de la masse est convertie en énergie. Mais il existe des situations où c'est l'inverse qu'on fait. On convertit de l'énergie en masse. Pensez par exemple aux collisions de particules qui se produisent dans les collisionneurs de particules, ces grands accélérateurs au sein duquel on fait circuler des faisceaux de particules en sens inverse. Par exemple, des électrons. Il y a un électron de haute énergie qui arrive ici, et en face de lui arrive son antiparticule, qu'on appelle le « positron », qui a une charge électrique opposée et quand ces particules ont des énergies très élevées, on les fait entrer en collision. Et cette collision produit l'apparition, provoque l'apparition d'un très grand nombre de particules, dont on mesure les trajectoires grâce à des grands détecteurs, (on peut analyser d'ailleurs la nature de ces particules grâce aux détecteurs qui sont installés autour du point de collision.) Et ce qui est intéressant c'est que quand on calcule, ou plutôt quand on mesure la masse totale de toutes les particules qui sont crées par la collision, et qu'on la compare à la masse des particules incidentes, on trouve beaucoup plus. Par exemple, au CERN, il y avait une machine qui s'appelait le LEP grâce à laquelle la masse totale des particules produites par la collision était 200 000 fois plus élevée que la masse des particules incidentes. Or, à l'école, on apprend que la masse se conserve. Là, en l'occurrence, on a une illustration parfaitement contradictoire de cet énoncé puisque la masse produite est beaucoup plus élevée que la masse des particules incidentes. La masse ne s'est pas conservée. Comment comprendre cette situation ? Eh bien, en disant que l'énergie cinétique des particules incidentes, l'énergie qu'elles doivent à leur mouvement s'est matérialisé. C'est-à-dire l'énergie cinétique s'est transformée en masse, c'est-à-dire en nouvelles particules. Ces particules ont été créées par la collision et on a là une situation extraordinaire dans laquelle la propriété d'un objet, en l'occurrence la vitesse d'une particule, est capable de se transformer en objet, c'est-à-dire en autre particule. C'est presque aussi extraordinaire que si on vous disait que la hauteur de la tour Eiffel est capable de devenir la tour Montparnasse, ou que la vitesse d'un taxi est capable de devenir un scooter. C'est-à-dire qu'une propriété d'objet devient elle-même un objet. Ça devrait intéresser les philosophes que vous êtes.