L’inquiétante fourmi électrique s’installe en France
La Wasmannia auropunctata, communément appelée « fourmi électrique », a récemment été détectée à Toulon. N’ayant pas de prédateur naturel en France, elle pourrait proliférer et avoir un impact important sur la biodiversité... Reportage sur le terrain.
Réalisation : Amanda Breuer Rivera
Production : Universcience
Année de production : 2023
Durée : 8min30
Accessibilité : sous-titres français
L’inquiétante fourmi électrique s’installe en France
Avignon, sud de la France. Olivier Blight et ses étudiants posent des pièges contre un redoutable insecte…
LIVE : On l’a trouvé à Toulon maintenant on va voir si on la trouve ailleurs.. donc l’objectif c’est de trouver cette petite fourmi, la fourmi électrique… donc elle est toute petite 1,5mm la peau un peu orangée, donc pour cela on va utiliser du beurre de cacahuète ! Elles raffolent du beurre de cacahuète.. tiens si tu peux me le tenir..
Ne vous fiez ni à sa petite taille, ni à ses préférences culinaires… cette fourmi exotique est une plaie pour l’environnement.
------- TITRE : L'INQUIETANTE FOURMI ELECTRIQUE ARRIVE EN FRANCE ----------------
Depuis que la wasmania auro punctata, communément appelée « fourmi électrique », a été détectée à Toulon sur 1 hectare… Olivier Blight, expert de cette fourmi, redoute de la voir proliférer :
Olivier Blight – chercheur IMBE / IUT d’Avignon : C’est… si on peut dire ça comme ça, une des pires espèces de fourmi envahissante que l’on peut.. que l’on pourrait trouver à l’échelle du globe. Et elle a été détectée très récemment en France pour la première fois donc cet été.. une population établie qui est présente depuis au moins 3-4 ans..
Il faut donc la dénicher vite pour mieux la combattre. Si ce jour-là, la prospection n'a rien donné, il est impossible de cartographier sa présence sur des kilomètres avec uniquement trois chercheurs bénévoles. Alors les autorités ont diffusé cette alerte avec le soutien de l’Inventaire national du patrimoine naturel hébergé par le Muséum national d’histoire naturelle de Paris. C'est ici que cet entomologiste reçoit une partie des signalements :
LIVE : Donc ça vient d’Indre-et-Loire… XXX. C’est pas forcément la zone où on a détecté l’espèce. Et… en général ça va très vite… c’est beaucoup trop gros ! C’est une fourmi du genre Lasius qui est une fourmi très commune et que c’est 5 fois plus grand que la fourmi électrique.
Une fausse piste qui prouve cependant que leur alerte sur la dangerosité de cette fourmi a bien été entendu :
Quentin Rome : Là où elle prolifère, elle a un impact vraiment très important sur la biodiversité, sur les autres espèces de fourmis, sur les autres espèces animales, les espèces végétales sur lesquelles elle va élever des pucerons, des cochenilles par exemple. Et elle a aussi un impact sanitaire sur l’homme puisque c’est une fourmi.. qui s’appelle fourmi électrique parce sa piqûre ressemble a une petite décharge électrique. Et.. c’est douloureux et à terme certaines personnes peuvent devenir sensibles et après avoir des réactions allergiques.
Cette fourmi n’a pas de prédateur naturel ici en France. Dans la collection scientifique du Muséum, le conservateur a retrouvé des traces de cette espèce sud-américaine ailleurs que dans sa zone native. Elle s'est implantée à Cuba, au Cameroun, en Espagne ou en Israël... Une propagation peu naturelle :
Quentin Rome : Les fourmis ne vont pas aller très très loin de la colonie.. c'est une fourmi qui mesure qu'un millimètre seulement. Le problème c’est que les colonies peuvent passer facilement inaperçues si on ne se fait pas piquer, et elles peuvent facilement être transportées avec des végétaux, dans la terre par exemple, ou avec des débris végétaux. Y’a un fort risque qu’elle soit déplacée par l’homme et du coup que la progression soit beaucoup plu s rapide et surtout à des endroits que l’on peut difficilement prévoir.
Cette fourmi voyage grâce à l'homme, et s'en débarrasser ne sera pas simple. En plus du travail de localisation, Olivier Blight cherche des moyens pour l'éradiquer... car les insecticides du commerce ne suffiront pas.
Olivier Blight : Si on veut réellement éradiquer une espèce de fourmi, il ne faut simplement utiliser une bombe qui va tuer les ouvrières qui sont en surface qui se baladent, il faut vraiment avoir une action sur le cœur de la colonie qui est.. qui sont dans ce cas là les reines. Personne en métropole n'a d'expérience de l'éradication de cette espèce-là parce que c'est la première fois qu'on la trouve. Donc on est allé chercher la connaissance auprès de collègues qui luttent contre cette espèce depuis longtemps, donc c'est un gain de temps phénoménal... // 25s
Car il s'agit d'une course contre la montre. Dès qu'elles pullulent elles deviennent incontrôlable... comme en témoigne ce chercheur australien :
Ben Hoffman : My advice is don't be complaisant about this species. Imagine trying to sleep at night and you're being stung on your bed. Imagine your pet cat going blind, but you can't see what's what's causing this. Imagine your garden being completely unusable because ants are all over the plants. These are essentially the stories of this ants. Before we even start on the environmental aspects where precious species go extinct. // 28s
Bio-surveillance, élaboration d'insecticide, dressage de chiens pour les détecter, annonces télévisées... La région du Queensland en Australie se débat encore contre cette fourmi. Elle a dépensé plus de 17 millions d'euros en 16 ans. Or la conviction de ce montpelliérain expert de la lutte contre les fourmis nuisibles, c'est qu'il faut éliminer cette colonie avant qu'elle ne devienne incontrôlable. En ce moment, il régule une autre espèce de fourmi exotique envahissante qui a de nombreux points communs avec la fourmi électrique :
Luc Gomel : Là on a des centaines de milliers de reines.. donc si on veut éradiquer une population sur un territoire il faut arriver à tuer toutes les reines ce qui est quasiment impossible à faire. Elles ont pour caractéristique de faire des fourmilières à l'échelle d'une ville ou d'une région. Elle est nomade donc on peut traiter un endroit, on a l'impression qu'on a tué la population alors qu'en faite elle s'est juste déplacée, elle est partie un peu plus loin. Et au contraire, on peut avoir tué une population à un endroit et très vite cet endroit est re-colonisé par les groupes de fourmis qui étaient autour. // 27 s
Or la molécule jusqu'ici utilisée pour lutter contre ces invasions de fourmi doit être interdite ces prochains mois. Utiliser les produits actuellement employés contre la fourmi électrique en Australie ou à Hawaï est impossible faute d'homologation. Face à cette impasse, Luc Gomel cherche de nouvelles molécules qu'il devra ensuite adapter à la fourmi électrique. Un travaille de longue haleine :
Luc Gomel : Il va falloir adapter l'appât à l'espèce que l'on vise.. il faut trouver les bonnes concentrations, il faut prouver que le produit que l'on fabrique n'est pas dangereux pour l'environnement ou pour d'autres espèces qui ne sont pas des espèces ciblées. Et surtout derrière il va de toute façon falloir l'homologuer, c'est-à-dire qu'il va falloir obtenir l'autorisation formelle de le fabriquer, de l'utiliser. Et ça, c'est des dossiers très long à monter, donc ça coûte très cher. // 24s
Or la lutte contre cette fourmi incombe aux autorités françaises. Après un plaidoyer d'Olivier Blight l'année dernière, elle est inscrite sur la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l'Union européenne. Résultat : La France doit la combattre. Elle a trois mois après sa détection pour appliquer des mesures d'éradication. Malgré une première réunion en préfecture, aucun plan ne semble prêt dans le temps imparti. Le service concerné n'a pas répondu à nos questions... ce qui inquiète ce scientifique :
Luc Gomel : Plus vite on traite ce foyer, le plus on a de chance de l'éliminer totalement. Et donc, il faut absolument que ces différents services, soit ministériels, soit des services déconcentrés de l'État se mettent en ordre de bataille pour travailler ensemble et c'est malheureusement pas tellement dans la, dans la culture de ce pays. Donc il va falloir une petite révolution pour.. que malgré tout compte tenu de l'urgence.
Importer ou développer un nouveau fourmicide... la décision revient à l'administration. Pourtant cette fourmi sévit depuis longtemps en France, plus précisément depuis les années 60 en Nouvelle-Calédonie. Hervé Jourdan, écologue, l'a vu proliférer.. atteignant parfois jusqu'à 10 millions de fourmis électriques à l'hectare dans les années 90... or depuis 20 ans, sa population s'est effondrée. Le chercheur observe que son système de reproduction original basé sur le clonage des Reines et des mâles.. s'est grippé :
Hervé Jourdan : L'évolution reprend.. le pas, et finalement faire de la sexualité théoriquement ça permet de re-brasser, de re.. faire quelque chose qui répond mieux aux pressions, mais dans ce cas-là où il y a très peu de diversité génétiques, ben ça contribue à faire de la dépression de consanguinité qui s'accumule au cours du temps et finalement à un moment ça conduit à un effondrement. Et en fait, ce mécanisme, il n'est pas complètement expliqué. Est-ce que c'est pas multifactoriel, est-ce qu'il n'y aurait pas une dimension génétique mais qui serait aussi un épuisement des ressources.
Un effondrement qui s'observe dans d'autres espèces exotiques invasives. La solution serait-elle de ne rien faire alors ?
Hervé Jourdan : OKAY, ça finit par se réguler peut-être, mais quel est le, le, le coût de ça ! Certains habitats qui ont été victimes pendant 30 ans de cette invasion et bien il n'en reste plus rien à l'intérieur de cet habitat et c'.... on ne voit pas de recolonisation et un retour vers une situation qui était celle préalable à l'invasion. / ça / ne fait que renforcer que quand on a une espèce envahissante il faut réagir vite parce que de toute façon on se fait déborder.
La présence d'espèces exotiques invasives participent à la moitié des extinctions connues. Elle fait partie des cinq causes majeures de l'érosion de la biodiversité. Or le nombre de ces espèces augmente dans l'Hexagone et menace sa faune et sa flore. Les autorités françaises seront-elles à la hauteur de l'enjeux ?
Réalisation : Amanda Breuer Rivera
Production : Universcience
Année de production : 2023
Durée : 8min30
Accessibilité : sous-titres français