- Selon moi, on va connaître une inflation relativement persistante dans les années à venir.
- Ce n'est pas une vraie inflation, car elle n'est pas durable en soi.
- Je m'appelle Henri Sterdyniak. Je suis économiste. Économiste d'inspiration keynésienne, d'inspiration empirique.
- Je suis Jean-Marc Daniel. Sur le plan intellectuel, je me définis comme étant un économiste libéral, disciple de David Ricardo, qui est un des grands économistes du début du XIXe siècle.
Quelles sont les causes de l’inflation ?
- La particularité de la situation actuelle, c'est qu'on a d'une part, un choc d'offre, le prix des matières premières, du pétrole, du gaz, a fortement augmenté en raison de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. S'y ajoute le fait que, compte-tenu des perturbations climatiques, on a des manques de production agricole dans un certain nombre de pays. Donc on a un choc d'offre qui a frappé les pays développés, particulièrement l'Europe qui dépend plus de l'énergie importée. Et s'y ajoute aussi le fait que contrairement à la période précédente, on a une demande qui est assez dynamique parce qu'elle a été soutenue par des taux d'intérêt bas et par des politiques budgétaires relativement expansionnistes parce que les différents gouvernements avaient peur de l'effondrement économique après la crise du Covid.
- Actuellement, la particularité de cette inflation, c'est qu'il n'est pas sûr que ce soit vraiment de l'inflation. Si on prend la définition de l'Insee, il s'agit normalement d'une hausse générale et durable du niveau des prix. Or on a assisté plutôt à une hausse de certains prix et cette hausse est spectaculaire. C'est le cas de l'énergie et aussi des produits agro-alimentaires. Mais cette hausse ne paraît pas durable étant donné qu'il y a une cause précise, qui a été la guerre en Ukraine. La question qui se pose, c'est : peut-on parler d'inflation alors qu'on a une hausse des prix qui devrait s'éteindre assez rapidement ?
Comment lutter contre cette inflation ?
- Il y a deux grandes politiques de lutte contre l'inflation. La première, traditionnelle, selon moi, est tout à fait catastrophique. Ça consiste à faire baisser la demande de sorte qu'on lutte contre les pressions inflationnistes. Selon moi, c'est tout à fait pénible, parce que d'un côté, on a une hausse du chômage, et de l'autre côté, le fait que la demande soit faible n'incite pas l'offre à se développer. Et donc, c'est une situation de stagnation qui n'est pas souhaitable. La seconde stratégie, qui est plus difficile à mettre en œuvre, ça consiste à des politiques de blocage des prix bien ciblés, dans lequel on surveille les producteurs pour qu'ils ne répercutent pas plus que la hausse du prix des consommations intermédiaires. On surveille les distributeurs pour qu'ils acceptent des baisses de leur taux de marge et avec cette stratégie, on peut éviter que la spirale prix-salaires dégénère. Mais il faut bien noter qu'en tout état de cause, il faut laisser le prix des énergies fossiles augmenter, car on a besoin de cette augmentation du prix de l'énergie fossile pour lutter contre le changement climatique.
- Pour lutter contre l'inflation, historiquement, théoriquement, pratiquement, il n'y a que deux moyens. Le premier moyen, c'est de demander à la Banque centrale d'utiliser la politique monétaire et de définir un niveau de taux d'intérêt qui soit conforme aux capacités de production de l'économie. Il faut que le taux d'intérêt ne soit pas trop haut pour ne pas briser l'investissement et nuire à la croissance économique. Il ne doit pas être trop bas pour ne pas laisser se multiplier les crédits, laisser se multiplier les dépenses des entreprises et des ménages quasi gratuites, car le crédit serait alors relativement favorable. Il y a un bon niveau de taux d'intérêt à définir et c'est la mission principale de la Banque centrale. Le deuxième moyen de lutter contre l'inflation, c'est de constater que des prix augmentent parce que des gens l'ont décidé. Et s'ils peuvent les augmenter, c'est parce qu'en augmentant, ils ne perdent pas de parts de marché. Quelle est la façon d'éviter ça ? En leur imposant des concurrents. Donc, inflation, le bon outil, c'est la concurrence. On laisse les entreprises libres, mais on les contraint par le biais de la concurrence. Le maître-mot de la lutte contre l'inflation, c'est avant tout concurrence et liberté.
Combien de temps l’inflation va-t-elle durer ?
- Selon moi, il y a très peu de chances que les prix des produits énergétiques importés baissent parce que l'Europe a renoncé une fois pour toutes sans doute au gaz russe. D'autre part, parce que l'Europe doit mettre en œuvre des politiques d'énergie renouvelable et de nucléaire qui au final se traduisent par une hausse du prix l'énergie. Par ailleurs, compte tenu des perturbations climatiques, les marchés agricoles vont rester tendus. Et donc nous sommes dans une phase où les hausses des prix de l'énergie et des matières premières continuent à alimenter la dynamique prix-salaires et il est probable qu'elle dure encore pendant deux à trois années et on va connaître des inflations de l'ordre de 5 à 7%, sauf un miracle.
- Combien de temps ça va durer ? Les Banques centrales ont justifié leur inertie du début du déclenchement de cette hausse des prix en disant que ce serait temporaire. Puis ça a duré plus longtemps que ce qu'elles avaient anticipé. Le gouvernement de la Banque de France a toutefois dit que dès la fin de 2023, voire début 2024, on sera en dessous de 3 ou 4 % de hausse des prix. Donc je pense qu'il a raison. Ce sera peut-être au deuxième semestre de 2023 ou premier semestre de 2024, mais la hausse des prix va rentrer dans les clous. On voit déjà dans certains pays, comme les USA, des prix qui se mettent à baisser. Non seulement ils ont arrêté d'augmenter, mais sur certains secteurs de la consommation, les prix ont baissé, donc ça ne devrait pas durer longtemps.