Promenons-nous dans les bois urbains de Floirac. Au premier coup d'œil, on pourrait se croire dans une forêt ordinaire. Mais si l'on s'approche, on aperçoit toute une série d'instruments de mesure. Et pour cause, nous sommes dans un laboratoire à ciel ouvert, une forêt expérimentale.
- Ici, on est sur le site de la forêt expérimentale de l'observatoire de Floirac. C'est un site qui appartient à l'université de Bordeaux et nous, on a investi ces lieux il y a à peu près deux ans pour suivre le fonctionnement de cette forêt qui est donc une forêt urbaine.
- Une forêt urbaine, de façon générale, va fonctionner comme une forêt non urbaine, donc on sait déjà qu'elle va transpirer, elle va fixer du carbone, elle abrite de la biodiversité. Par contre, le fait qu'elle soit insérée dans un tissu artificialisé urbain va augmenter les niveaux de stress subis, notamment le stress hydrique, la chaleur - il fait souvent plus chaud dans une ville -, la pollution. Et donc, c'est cette capacité à fonctionner dans ce contexte-là qui est très peu connue encore.
- On est une des seules équipes en France, voire même en Europe, qui s'intéresse à suivre le fonctionnement des arbres dans un cadre urbain. Les chercheurs étudient ainsi depuis 2021 le cycle de vie des chênes, des frênes, des robiniers et des lauriers de ce bois d’une dizaine d'hectares situé sur les coteaux bordelais. Ils observent notamment avec attention l'apparition des feuilles, leur chute, la fructification - comme ici celle des chênes - ou encore les jeunes plantules qui émergent du sol et laissent présager la forêt de demain.
- Ici, on a du chêne, mais on a aussi surtout énormément de laurier. Et cette dominance de laurier fait qu'on envisage une dynamique future de modification de la biodiversité dans cette forêt. C'est une espèce méditerranéenne qui n'existe pas dans les forêts aux alentours et qui en fait est une échappée de jardin. Les oiseaux récupèrent les fruits et lâchent les graines et les graines se sont surdéveloppées dans ces bois urbains. Ce qu'on sait de façon générale, c'est que les changements d'espèces majeures comme les arbres, vont induire par cascade, des changements d'espèces sur les insectes, les animaux, les oiseaux, à tous les niveaux trophiques du système. Un point positif toutefois pour le laurier : il s'avère très résistant aux aléas climatiques. Car ce qui intéresse les écophysiologistes au plus haut point, c'est de savoir comment les différentes essences urbaines réagissent aux changements climatiques et aux épisodes de sécheresse. Des stations météo les aident ainsi à reconstituer le microclimat de la forêt et de son environnement proche, tandis que de nombreux capteurs leur offrent un suivi continu de l'état de santé des arbres.
- On a installé deux types de capteurs de fonctionnement sur plus d'une vingtaine d'arbres dans la forêt. Donc le premier, c'est un capteur qu'on appelle un dendromètre. C'est un capteur de croissance qui permet de regarder la croissance en volume de l'arbre. Quand l'arbre va puiser l'eau la nuit, donc se remplir, le diamètre va augmenter, et la journée, l’arbre va transpirer, va évacuer de l'eau, ce qui va faire que le diamètre de l'arbre va se rétrécir. Avec l'été très sec et très chaud qu'on a eu à Bordeaux, on a vu l'arbre rétrécir au cours de la saison. Ensuite, on a un deuxième capteur ici qui lui est un capteur de flux de sève. Donc il permet d'avoir une idée du flux ascendant d'eau qui traverse la plante de manière quotidienne. Et ça nous permettra aussi de déterminer la quantité d'eau en réserve de l'arbre. Grâce à ces mesures qui vont s'accumuler pendant une dizaine d'années et à des prélèvements réguliers, les scientifiques espèrent avoir une idée plus précise des capacités de résilience de la forêt urbaine, mais aussi de ses réelles capacités à rafraîchir la ville. Sachant que si la taille du boisement a son rôle à jouer, le relief ou la proximité d'un cours d'eau entrent aussi en ligne de compte. En Allemagne et en Autriche, par exemple, il a été interdit de construire sur certaines collines boisées afin d'essayer de maximiser l'effet “cooling” dans les villes en contrebas. Mais délaissons un instant le bois de Floirac et ses chevreuils pour le centre ville de Bordeaux. Ici, on trouve d'autres arbres qui poussent seuls ou en groupe, dans les parcs ou au sein des populaires micro forêts. Eux aussi font partie de la forêt urbaine. Et eux aussi intéressent les chercheurs.
- Ce qu'on ne voit pas, c'est qu'en fait ils font des fosses en dessous. Et donc ton arbre, il est dans un cube, il est dans un pot enterré. Alors que là il y a une plate bande, et souvent la continuité de l'espace fait que tu as potentiellement plus de prospection racinaire. Un arbre qui est dans un milieu très minéralisé peut avoir des stress multiples. Ça peut être aussi bien un effet de la température parce que les substrats minéraux vont chauffer beaucoup plus qu'un sol nu ou un sol enherbé. Et puis aussi l'accès à l'eau, puisqu’un sol artificialisé va empêcher une partie de l'eau d'arriver aux racines et donc l'arbre risque de se retrouver plus rapidement dans un état de stress hydrique. Les scientifiques ont donc décidé de caractériser un maximum d'arbres parmi les 400 espèces de la métropole de Bordeaux et de comparer leur fonctionnement dans différents environnements plus ou moins artificialisés. Aujourd'hui, ce sont des branches de chêne et d'érable qui sont prélevées puis ramenées au laboratoire. Les rameaux sont passés au cavitron, une centrifugeuse qui simule la sécheresse et indique à quel moment la sève va définitivement s'arrêter de circuler, conduisant à la mort de l'arbre. Autrement dit, une mesure de la cavitation qui détermine le niveau de résistance de l'espèce à la sécheresse. De leur côté, les feuilles sont introduites dans une chambre à pression pour révéler le niveau actuel de stress hydrique de l'arbre.
- La question sociétale première de la métropole de Bordeaux avec qui on travaille et qui revient souvent de la part de toutes les structures, c'est “quelle espèce je dois planter ?” Donc effectivement, c'est arriver à amener des éléments de réponse sur quelles espèces vont être capables de survivre dans les conditions climatiques futures tout en assurant le maximum de services attendus : rafraîchir les populations, apporter de la biodiversité. Et donc ça, c'est leur première question. Et moi ce que je rajoute assez rapidement, c'est “comment les organiser”. Des arbres isolés ou des arbres groupés n'auront pas le même effet sur certains groupes d'animaux ou sur l'effet rafraîchissant.
- Aussi, en termes de plantations, tenir compte des vitesses de croissance des arbres. Aujourd'hui, on a tendance à vouloir mettre des arbres qui vont grandir très vite, mais qui peut-être au final, ne produiront pas autant d'ombre qu'un chêne qui mettra, lui, plusieurs décennies à être vraiment grand et à avoir un vrai effet sur le climat. Des conseils que Bordeaux attend avec impatience, elle qui ambitionne, comme beaucoup d'autres villes dans le monde, de remplacer le bitume par des espaces verts pour lutter contre le réchauffement climatique et préserver la qualité de vie des citadins. L'objectif de la métropole bordelaise : planter 1 million d'arbres d'ici 2030.