Kiev. Kharkov. Marioupol. Charkhov. Alors qu’En Ukraine, la guerre fait rage, certains Ukrainiens se retrouvent coincés à 15 000 km de là. Dans le blanc de l’Antarctique, un drapeau jaune et bleu flotte au milieu des manchots du pôle Sud.
Voilà la station Vernadsky, la seule base de recherche ukrainienne située dans l’archipel Argentine, où vit, à l’année, une équipe de scientifiques et d’ingénieurs. En mars, leur mission d’un an était sur le point de se terminer, quand la guerre a éclaté.
ANTON « Il était minuit à la station, mais c’était le petit matin en Ukraine, quand les premières bombes sont tombées sur nos villes, notamment chez moi, à Kharkiv. »
VADYM « Je suis né en Crimée, et la première fois que j’ai quitté mon pays, c’était en 2014, quand la Russie a envahi la région. C’était il y a 8 ans. Aujourd'hui, c’est ma nouvelle maison que la Russie a envahit, Mélitopol. Rien de plus. »
Ils se retrouvent à suivre l’invasion en état de sidération , au rythme des messages de leurs proches.
ANTON « Pour l’instant, ma famille est à l’abri dans un endroit plutôt sur, mais ils ne veulent pas quitter le pays. »
VADIM : « Ca a été l’annonce la plus horrible de ma vie. Plus rien n’a d’importance. Ma réalité toute entière maintenant, elle est liée à cette guerre. »
A l’autre bout du monde, une équipe de chercheurs se préparait à venir les remplacer. Mais, bloqués par les bombardements russes, les scientifiques n’étaient plus certains d’arriver à quitter l’Ukraine.
ANASTASSIA : « Pour l’instant on attend la prochaine équipe qui nous remplacera. A un moment, certains ici étaient prêts à rester une année de plus, s’il y avait besoin. Mais finalement la nouvelle équipe est déjà à Punta Arenas, après un très long périple de l’Ukraine jusqu’au Chili. »
Leur périple est pourtant loin d’être fini. L’équipe attend désormais l’arrivée du bateau Noosfera, encore au milieu de l’Atlantique. C’est à bord de ce brise-glace, chargé d’équipements scientifiques et de provision, qu’ils feront la dernière partie du voyage, pour relayer la 26e expédition ukrainienne.
Depuis 1996, une équipe ukrainienne occupe les lieux en permanence. Après l’effondrement de l’Union Soviétique, Moscou s’est déclarée propriétaire des 5 stations de recherche de la région et a refusé que l’Ukraine reprenne l'une d'elles. Ce sont les Anglais qui ont alors décidé de vendre leur station au gouvernement ukrainien pour la somme symbolique d’une livre.
Il était minuit à la station, mais c’était le petit matin en Ukraine, quand les premières bombes sont tombées sur nos villes, notamment chez moi, à Kharkiv. »
Mais sur place aujourd’hui, la poursuite des programmes de recherche est compliquée par la guerre.
« On dépend vraiment de gens en Ukraine ici, et en ce moment on ne peut pas collaborer avec eux comme on devrait. »
On y étudie l’océan, la cryosphère, la structure géologique de la région, mais aussi les perturbations causées par l’activité humaine, ou les interactions entre systèmes atmosphériques et météo.
ANATASIIA « Mon travail porte sur les précipitations et la microphysique des nuages. En plus, je collecte plein d’échantillons. En plus on a dû annuler beaucoup de terrains saisonniers, parce que l’hiver se raccourcit de plus en plus vite. Et des membres de l’équipe n’ont pas pu venir, à cause de l’invasion. On ne sait aussi toujours pas comment on transportera nos échantillons vers nos laboratoires habituels en Ukraine. »
Même une fois de retour chez eux, il sera difficile de poursuivre leur travail. À Kyiv ou à Kharkiv, la recherche est à l’arrêt, sous les bombardements.
ANTON « Je ne peux pas reprendre mon travail de recherche dans mon institution, trop d’infrastructures ont été détruit. Mais je pense qu’en ce moment, même les chercheurs devraient défendre l’Ukraine, ce n’est pas de la recherche scientifique dont le pays a d’abord besoin. »
Certains chercheurs sur place ont pris les armes, d'autres s’organisent pour aider la population. Pour ces scientifiques, la recherche n’est plus une priorité.
VADYM « La situation actuelle change tous mes projets de vie, surtout professionnellement. On ne sait pas quand on rentrera chez nous, mais on sait que notre pays a vraiment besoin de notre aide. »
ANASTASSIA : « Je voudrais rejoindre les groupes qui organisent l’aide humanitaire, ou les équipements pour les forces de défense. »
En attendant, les membres de l’équipe ne passent plus leur temps libre ensemble. D’après le médecin de la station, le stress de ne pas pouvoir aider leurs proches impacte leur santé. Ils n’ont qu’une hâte : rentrer chez eux pour se rendre utile et protéger leur pays.