100 ans avant/après
Un coléoptère, aussi appelé « bousier sacré », emporté par un fort sirocco traverse la Méditerranée et se retrouve en Provence. Notre héros, fin lettré, a lu les œuvres de l’entomologiste Jean-Henri Fabre. Il s’en inspire pour tenter de retrouver son chemin et sa pitance dans ces endroits bouleversés par la "modernité" depuis 100 ans. Agriculture biologique, évolution du pastoralisme, aménagement du paysage... Le célèbre entomologiste, dont on a fêté le centenaire en 2014, était un visionnaire en matière de solutions pour préserver la biodiversité. Un documentaire naturaliste qui mêle rigueur scientifique et humour.
Production : Le Gobie, Le Naturoptère, Universcience
Année de production : 2014
Durée : 27min23
Accessibilité : sous-titres français
100 ans avant/après
« Qu'est-ce qu'elles attendent ces chèvres ? De quoi vais-je me régaler aujourd’hui ? Pas de p’tites boulettes ? A moins que… celle-ci peut-être…? … Non… celle-là ? … Non plus. Tant pis… pas de crottes de bique aujourd'hui.
Je suis un Scarabaeus sacer… un bousier qui mange de la bouse. Je vivais paisiblement dans mon oued au Maroc… la journée je parcours les dunes à la recherche de crottes de bique et le soir, ma passion c’est la lecture : mes œuvres préférées : celles de Jean-Henri Fabre, un spécialiste des insectes, qui vivait en Provence il y a un peu plus de 100 ans…
"Quelle finesse dans ses observations, quel style ce Jean-Henri Fabre ! Rien à dire : c'était bien l’un des meilleurs entomologistes, un grand connaisseur des insectes !"
Ce matin là un sirocco épouvantable s'était levé…
"Hoooooooo Wouh Aie ! "
« … et j’ai été embarqué bien malgré moi dans un voyage de 3000 kilomètres, dans les airs, au-dessus du Maroc… j’ai franchi un désert, des montagnes et la mer Mediterranée… et quand le vent a fini par se calmer, j’ai enfin pu redescendre… !
Hooooo Aie ! J’me suis froissé la cuticule… !
Mais où ai-je bien pu atterrir ? Une vieille maison aux volets verts… un bassin… de grands arbres… C’est très beau ici, mais il faut que je trouve quelqu’un pour demander où je suis.
Là-bas… j’entends des grognements… je vais aller voir… !
Arghhhhhh….. 2 ans sous terre ! Non pas le soleil !….
Grimper… grimper…
Transformation… plus de force…
Ma fille c’est pas parce que t’as réussi ta métamorphose que tu dois baisser la garde… maintenant je suis sèche et marron, c’est quand même plus discret que le vert pomme.
Je vais pouvoir faire mes premières notes !
Hardi bousier ! J’entends des voix là-haut, je vais pouvoir demander mon chemin…
Pousse-toi, toi, c’est mon coin d’écorce !
Quoi ! Mais laissez-moi je viens à peine d’émerger !
Dégage je te dis !
Pas possible d'être tranquille ici…
Bonjour ma bonne amie ! Figurez-vous que je suis un Scarabée sacré, et que j’ai été emporté par un sirocco violent. J’ai atterri ici par hasard et je n’ai pas la moindre idée d’où nous sommes… !
Quelle histoire ! Et bien vous êtes en Provence, dans la propriété où vivait Jean-Henri Fabre, il y a un peu plus de 100 ans… vous savez, le grand spécialiste des insectes… ?
Incroyable ! Je le connais parfaitement et je goûte fort ses écrits : Jean-Henri Fabre est mon maitre à penser !
Ah le hasard fait bien les choses alors, profitez-bien de la visite, voyageur venu du Sud, mais méfiez-vous, la nature a bien changé par rapport à celle que Fabre décrivait !
Ah bon ? Merci du conseil… ! Je dois avouer que l’excitation me tenaille, de découvrir la propriété de ce savant génial ! Au revoir !
c’est formidable : je retrouve toutes ces descriptions : Fabre a conçu son jardin comme un laboratoire à ciel ouvert !
Il ne faisait pas partie de ces scientifiques qui disséquaient juste les animaux pour les étudier, lui, il les observait aussi vivre, en pleine nature ! C’est pour ça qu’il a appelé son domaine l’Harmas, ça veut dire « friche » en provençal, comme toutes ces herbes folles !
Il n’était pas du genre à ranger son jardin, mais plutôt a cultiver le fouillis pour accueillir le plus d’insectes possibles !
Aaah que d’ émotion de mettre mes pattes dans ses pas, 100 ans après sa mort !
C'est là ce que je désirais : un coin de terre, oh ! pas bien grand, mais enclos et soustrait aux inconvénients de la voie publique ; un coin de terre abandonné, brûlé par le soleil…
Ce terrain maudit, dont nul n'eut voulu pour y confier une pincée de graines de navet, se trouve un paradis terrestre pour les insectes. Sa puissante végétation de chardons et de centaurées me les attire tous à la ronde. Jamais en mes chasses entomologiques je n'avais vu réunie en un seul point pareille population !
" C'est vrai qu'il y a du monde là-dedans ! Ce jardin est une merveille de biodiversité, mais ce voyage m’a ouvert l’appétit… et je n’ai pas l’impression que je vais trouver de quoi me nourrir ici. Je ne sens aucune bouse à des kilomètres à la ronde, avec mes antennes supers sensibles…! Décollons voir un peu plus loin…"
"Diantre mais c’est tout construit ici ! Quand je pense que Jean-Henri Fabre décrivait son domaine à l’écart du village et de l’agitation ! On dirait que les maisons se sont multipliées depuis sa mort il y a 100 ans !
Et ça : une grande route de bitume là où il n’y avait qu’un chemin de terre pour les mules ! Au moins je vois qu’il reste de l‘agriculture, mais on dirait que les méthodes sont un peu différentes de celles qu’il décrivait dans ses livres !
Les parcelles cultivées sont devenues beaucoup plus grandes ! Eloignons-nous un peu, il doit bien rester des coins nature, qui n’ont pas été façonnés par l’homme !
Quel vol grisant pour un bousier comme moi ! Mais ce n’est pas dans ces gorges encaissées que je vais trouver le moindre troupeau ! Posons-nous plutôt dans ce champ si accueillant.
« Avancer, avancer, avancer… Pas bouger… Avancer, Avancer… pas bouger ».
"Tiens ! Œil jaune, longs sur patte, l’air vaguement endormi : je vois des oedicnèmes, des collègues venus d'Afrique du Nord… étrange ils ont l'air de bien s'acclimater ici !
Avancer… Attendre.
Avancer
Ah mais je comprends ! Ils sont venus pondre dans le sud de la France pour éviter les grandes chaleurs d’Afrique ! Les jeunes viennent d’éclore… restons à distance.
Et ceux-là, que font-ils perchés sur leur branche à guetter ?
J’ai faim !
Encore ! Je crois qu’il reste un coléoptère dans les provisions… Oui c’est bon il en reste un… Dis mon chéri, tu veux bien aller le chercher pour ton frère ?
J’y vais !
Mais c’est pas possible ! Ils engouffrent plus vite que je trouve des insectes !
Tiens voilà, bon appétit.
Bon ben j’ai compris : je me remets à la chasse.
Quel genre de pitance convoitent- t’ils ? Je vais me hisser là-haut pour observer de plus près leur manège.
Non ! Quelle horreur ! Quelle lugubre galerie de dépouilles ! Ce sont eux qui empalent leur victime ?!
Alors où est-ce que je vais pouvoir mettre ça… ? Ah là, c’est un bon pique ça.
Quelle barbarie ! Pourquoi transpercez-vous ces pauvres insectes ?
" C'est notre garde-manger bien sûr ! On met cette boustifaille de côté pour plus tard. D'ailleurs si tu t'attardes sur ma haie, je t'ajoute à mes provisions… A moins que… aussi gros et tout noir… serais-tu un scarabaeus sacer ? Etrange : ton espèce a disparu de la Provence depuis bien longtemps ! "
Attendez ! Disparu ? Mais pourquoi ? Nous sommes plutôt solides pourtant !
Quel fâcheux oiseau. Il me laisse en plan avec un mystère peu réjouissant à résoudre. Et je n’ai toujours rien à me mettre dans le ventre… à moins que… ne serait-ce pas l'odeur d'une bouse que je perçois ?
Bouse fraiche, provenance mouton, femelle, 2 ou 3 ans d’âge, 2 kilomètres au Nord. Parfait !
C’est qui lui, c’est qui ? C’est qui ? Qu’est-ce qu’il fait ? Attention, il va manger la bouse, il est fou !
Ah enfin ! Un festin sur un lit d’herbe ! Exactement comme je les aime ! Et bien humide, c’est important, car j’en tire mon manger ET mon boire… !
Qu’est-ce qu’il fait ? Attention, il va manger la bouse, il est fou !
Il est malade, il est aliéné. Il est toctoc, il a fondu la durite. Il est maboul. Il est fêlé. Il est bizarre, il est possédé !
il est dingo !
Bon il est fou ! Je vais le prévenir.
quelle est cette étrange odeur chimique…?!
Si j'étais toi, je ne mangerais pas cette bouse.
Comment ? Ah mais je te reconnais, toi ! Toi aussi tu vis en Afrique ! Et même si tu t'appelles Guêpier, tu ne manges pas que des guêpes ! Tu manges aussi des Scarabées comme moi !
C'est vrai Scarabaeus sacer, mais de ce côté-ci de la Méditerranée, les troupeaux sont souvent vermifugés : traités avec des pesticides pour tuer les vers qui parasitent l'estomac des moutons… Si tu mangeais cette bouse, les produits chimiques qu'elle contient toujours ne manqueraient pas de te tuer… et ta chair conserverait elle-même la nocivité du pesticide.
Voilà pourquoi j'ai fait une croix sur les mangeurs de bouse dans ton genre. Tu devrais aller au sommet du Ventoux, il y a une bergerie où les bêtes ne sont jamais traitées pendant l'été…
Et bien merci Guêpier pour ce précieux conseil ! Je reprends mon vol, vers le sommet du Ventoux et au-delà !
C'est magnifique, je vais faire une pause pour demander mon chemin.
Incroyable ! Il y a du monde là-dedans ! Ca court, ça grignote, ca aspire la sève et ça s’entre-dévore… quel drôle d’univers !
Etes-vous un insecte auxiliaire ?
Exactement ! Ma mission c'est d'aider les agriculteurs. Je remplace d'une manière naturelle les insecticides : avec moi, les pucerons, passent de vie à trépas.
une vraie machine de guerre !
oh je ne suis pas la seule. On est nombreux sur ces feuilles !
Bravo ! Mais dites-moi mon brave, dans quelle direction se trouve le sommet du Ventoux ?
Il est droit devant vous ! Je vous laisse, il faut que je me métamorphose en nymphe…
C’est parti ! Je me fixe par ici… et je n’ai plus qu’à faire peau neuve !
Quelle bonne idée d’employer les ennemis naturels des pucerons plutôt que ces saletés de pesticides ! Et quelle chance ils ont d’avoir la panse bien remplie ! Je meurs de faim à présent, il est temps que je découvre le troupeau qu’on m’a promis ! Encore un effort, élevons-nous vers le sommet… je quitte la plaine , à moi les majestueuses forêts !
La nuit approche, il va falloir que je fasse une pause.
Quelle agitation dans cette forêt ! Pourquoi hurlent-ils comme ça avec leurs grands bois ? Les biches ont l’air complètement affolées ! Oh mon dieu, je viens de comprendre : ce doit être un genre de chant d’amour rustique ! Détournons le regard pudiquement…
Les braves herbivores, ils ont déposé pour moi quelques crottes bien moulées ! Ce n’est pas aussi délectable que du mouton ou de la chèvre, mais enfin, ca n’est pas un si mauvais casse-croûte.
Maintenant que j’y pense, cette forêt est très étrange ! Jean-Henri Fabre décrivait le mont Ventoux avec une ceinture de quelques arbres, mais certainement pas ces grands bois ! Voilà un cerf qui s’approche… N’oublions pas nos manières, Scarabaeus sacer : on ne parle pas la bouche pleine !
Pardon je vois que vous êtes fort occupée… On m'a parlé d'un troupeau de moutons sur le Ventoux, mais je ne vois que d'immenses forêts…
Ces forêts recouvrent le mont Ventoux depuis plus d'un demi-siècle, mais il n'en a pas toujours été ainsi…
Dans les Souvenirs de mon maître, il parle d'un mont pelé, un tas de pierres concassées pour l'entretien des routes".
C’est l’homme qui a planté ces forêts, pas pour nous, oh bien sûr, mais pour exploiter le bois qu’elles produisent… et nous sommes nombreux à les avoir trouvées à notre goût et à nous être installés !
Le troupeau que tu cherches n'est pas loin petit Scarabée, mais il te faudra d'abord conquérir le sommet.
Merci pour la leçon… je poursuivrai ma route dès demain, après une bonne nuit de sommeil…
Que mon maitre serait surpris s'il voyait tout cela ! Là ! Une route qui monte jusqu’au sommet ! Et là : petites cornes qui rebiquent, poil sombre et plastron blanc : des chamois ! Eux aussi doivent être de nouveaux habitants de cette montagne !
Je vois le sommet ! Je vais m’y poser, pour essayer de repérer ce fameux troupeau… Voyons… Ah oui ! De cet autre côté, cette petite cabane au milieu d’un pâturage… ne serait-ce pas une bergerie ?!! Enfin, je vais pouvoir manger !
Quelle est cette ombre ? Quel immense oiseau ! Quelle envergure ! Il vient vers moi on dirait !
"Te voilà enfin, voyageur… J'ai suivi ton périple depuis les cieux… nos problèmes se rejoignent.
"Comment cela ô noble vautour ? Je ne suis qu'un humble bousier…"
Tu as besoin des troupeaux pour te nourrir de leur bouse. Ton espèce a disparu- affamée- car les moutons étaient de moins en moins nombreux en Provence. Au XIXème siècle, 30 000 têtes de moutons broutaient sur le mont Ventoux. Aujourd'hui il n'en reste plus guère que 2000. Et en ce qui me concerne… moins de moutons, signifie moins de carcasses, accidentées dans les falaises et les vallons du mont Ventoux… Les miens ont dû s'exiler, loin, pour trouver leur nourriture. Nous sommes bien peu nombreux à rester dans cette région.
Mais tu as beaucoup voyagé, tu dois avoir faim. Bon appétit alors Scarabée sacré.
« Au revoir noble ami, je ne te cache pas que j’ai grand faim. J’aperçois les moutons qui rentrent pour la nuit. Avec un peu de chance, si ils ont bien brouté, je devrais rapidement être récompensé.
Beeeeee. C’est quoi ça ?
Et bien chers ovins… cessez donc de me regarder et concentrez-vous plutôt sur notre affaire ! Après une journée à crapahuter et à vous régaler d’herbe, vous devez avoir la digestion bien avancée ! Qui d’entre vous me fournira un festin ? Ah là ! C’est parti !
Enfin la voilà cette bouse ! Quelle odeur ! C’est délicieux ! Mais j’ai été doublé ! Je ne suis pas seul sur ce met de choix ! Plus petit que moi, mais plus trapu, thorax piqueté de trous… c’est le Scarabéeus semipunctatus… un cousin ! Et lui là-bas ! Encore plus réduit de taille, de jolies rayures blanches : Scarabaeus laticollis, un autre cousin ! Ces deux espèces ont donc réussi à survivre en Provence ! Bonne nouvelle ! Et la pitance est bien assez grande pour être partagée. Allons, bon appétit mes amis !
Beuh c’est qui lui ? Il est gros ! J’espère qu’il ne va pas tout manger !
Je fais ma petite boule. Je ne prends pas tout, je choisis ! Là je trie les grosses fibres, j’en prends un peu par ici … et puis je tasse un peu… Et maintenant le plus compliqué c’est de commencer à la faire rouler… je la pousse… et hop je la fais tourner entre mes pattes arrières… et je cherche un bon endroit pour m'enfouir… Et hop sous terre !
C'est vrai qu'elle est belle la boule du nouveau ! Pourquoi me fatiguerais-je à en faire une ? Je vais plutôt la lui voler !
Où est passée ma boule !? Le voilà le fuyard ! Ma boule est trop grosse pour ce misérable, il est coincé !
Non ! Il est sur moi ! Arrête !
Saperlipopette! Mais quelles manières !! Je vais t’apprendre à vivre ! Voilà forban ! Vil faquin ! Il ne fallait pas commencer ! Et maintenant : dans mon terrier.
La Provence avait bien changé en 100 ans, Jean-Henri Fabre ne s'y serait peut-être pas retrouvé, mais moi, Scarabée sacré, j'atteste après toutes ces aventures, qu'il y reste de sacrées merveilles !
Production : Le Gobie, Le Naturoptère, Universcience
Année de production : 2014
Durée : 27min23
Accessibilité : sous-titres français