AU TABLEAU ! François Michel
S’il y a un paysage particulièrement étonnant et présent, en particulier dans la partie nord de la France, c’est bien celui de la craie. Alors on va essayer de localiser dans un premier temps la craie sur une petite carte très, très simplifiée pour se poser la question : « quelle est cette roche ? » et « quelle est son origine ? » et « dans quel contexte, bien sûr, elle s’est formée jadis ? » Si je schématise ici la carte de France comme ceci très simplement par un hexagone, eh bien c’est vrai que les affleurements de craie sont essentiellement dans la partie nord. Ici, en Picardie, je schématise la craie de cette façon dans un mur construit, c’est la façon que l’on a de présenter le calcaire en géologie, et la craie n’est qu’un cas particulier de calcaire. C’est un calcaire très fin, très tendre et généralement très blanc. On trouve de la craie aussi en Champagne, puisqu’elle constitue tous les paysages, à l’est de Reims en particulier. On trouve de la craie, même si on ne l’appelle plus vraiment craie mais plutôt tuffeau, dans le Val de Loire, ici. Et puis bien sûr, de la craie chez nos voisins anglais. Et les paysages et les falaises de Douvres sont célèbres de l’autre côté de la Manche. Il y a un paysage qui est bien sûr très, très connu, c’est celui ici d’Étretat, avec sa fameuse aiguille donc de craie, et puis le plateau pays de Caux qui fait suite et qui se situe ici, donc, en Haute-Normandie. Qu’est-ce que la craie ? Si on regarde un petit peu plus près, on s’aperçoit que la craie est constituée d’un empilement régulier de couches. Ces couches sont d’ailleurs souvent soulignées de façon régulière, en particulier en Normandie, par des alignements de silex qui montrent bien cette horizontalité, signe que si le dépôt s’est fait dans cette position horizontale, il a été peu perturbé depuis. Dans la craie, eh bien on trouve des fossiles, des fossiles d’oursins, des fossiles d’ammonites, en un mot, des fossiles qui sont des fossiles marins. Donc pas de problèmes, la craie est un sédiment marin. Cependant, quand on passe la craie au microscope, on voit pas grand-chose d’autre que quelques petits fossiles marins. Mais quelle est la matière de la craie ? On ne le sait toujours pas en regardant simplement au microscope. Si on passe un échantillon de craie au microscope électronique, c'est-à-dire cette fois-ci qui va pas le grossir 1 000 ou 2 000 fois mais 100 000 fois et plus, eh bien on va voir que la craie est formée de plein de toutes petites plaques comme ceci qui sont des morceaux de l’enveloppe du test de planctons microscopiques, ultramicroscopiques puisqu’on ne les voit qu’au microscope électronique et qu’on appelle des coccolites. Imaginez un peu un ballon de foot avec toutes les plaques qui sont cousues et puis ces plaques qui se séparent et qui à la mort de l’animal tombent si bien qu’on ne les voit pas au microscope et on a découvert l’origine de la craie quand on a pu grossir de façon plus importante le sédiment. Voilà. Alors quand, comment cela s’est-il formé ? Pour ça, il faut revenir à la carte. J’efface ici ceci pour redonner un petit peu le contexte de l’époque. Quelle époque ? Les fossiles nous disent, et c’est ça l’importance des fossiles en géologie, que ces dépôts se sont formés il y a environ 80 à 70 millions d’années. A cette époque-là, quel est le contexte de l’Europe ? Eh bien, le contexte de l’Europe c’est qu’ici, l’Atlantique nord, donc entre l’Amérique, l’Europe et le nord de l’Afrique, s’ouvre, c'est-à-dire que l’océan est en pleine ouverture. Ici, dans le sud-est, on a aussi un océan qui est l’océan alpin, la chaîne alpine est en train de se préparer. Et puis, on a une grande partie de l’Europe qui est prise en sandwich entre ces deux univers marins et océaniques. Ici, des grandes îles comme le Massif armoricain, le Massif central, pour citer les plus importantes, qui sont à cette époque exondées. L’ouverture de l’Atlantique nord va provoquer un envahissement qui est difficile à dessiner au niveau d’une géographie précise mais de l’eau, non plus depuis le sud-est comme c’était le cas depuis quelques dizaines et plus de millions d’années mais depuis le nord-ouest. Et ces eaux qui vont envahir ici la région sont des eaux froides. Ces eaux froides vont changer complètement le climat de la mer et le contexte de développement du plancton, si bien que dans cette mer qui occupe une grande partie du nord de l’Europe et en particulier le nord de la France et le sud de l’Angleterre, va se déposer ce plancton dont on parlait tout à l’heure. Ces dépôts existent toujours et se passent toujours de nos jours, c’est pour ça qu’on peut en parler en comparant les phénomènes qui se passent aujourd’hui à des phénomènes qui se sont passés hier. Alors, juste un petit calcul pour terminer : comment se fait-il que l’on puisse retrouver ici, par exemple en Picardie, des épaisseurs de 700 m de craie avec un sédiment qui est ultramicroscopique ? Eh bien, un petit calcul peut nous aider à réfléchir, même s’il n’est pas exact au sens strict. 1/10e de millimètre par an de dépôts de poussières au fond de la mer, c’est moins que chez nous dans n’importe laquelle de nos chambres ou de nos salles donc c’est tout à fait envisageable. Mais si on commence de compter, 1/10e de millimètre par an, ça fait 1 mm en 10 ans, ça fait 1 cm en 100 ans, ça fait 1 m en 100 × 100 ans, en 10 000 ans, et ça fait 100 m en 100 × 10 000 ans, c'est-à-dire en 1 million d’années. C'est-à-dire qu’on s’aperçoit qu’avec le temps en géologie, des phénomènes de faible importance de façon annuelle, c'est-à-dire des dépôts qui sont très, très faibles, très légers, peuvent finir par accumuler des centaines d’épaisseur de matériaux, d’argile dans certains secteurs, de craie ici dans ces secteurs du nord de la France, pour expliquer l’origine de couches qui constituent aujourd’hui un certain nombre de nos paysages.