Michel Serres Philosophe
-Ce qui est remarquable dans le corps humain, par rapport à l'animal, c'est l'extraordinaire possibilité de se transformer.
Considérons par exemple les gestes sportifs, qui sont très différenciés, le gymnaste aux barres parallèles, ou le sportif qui court, qui saute, aussi bien que les sports collectifs, le demi de mêlée qui passe le ballon ou l'avant qui se met en mêlée.
Il y a une métamorphose considérable du corps.
Si on considère, d'autre part, les métiers, que vous soyez forgeron, que vous soyez agriculteur, que vous soyez maçon, etc., les gestes requis sont très différents.
Il faut frapper, il faut transporter, il faut placer, etc.
Donc le corps s'adonne à des gestes très différenciés.
C'est très bien pour le sport, c'est très bien pour les métiers, mais regardez l'artiste.
L'artiste qui est pianiste, qui est violoniste, qui est flûtiste, etc.
Ses gestes sont encore plus différenciés.
Mais, voyons, au fond, l'essentiel, c'est le danseur.
Le danseur gesticule, il prend des positions tout à fait extraordinaires et même inattendues.
Ce qui me frappe dans le corps humain, c'est sa possibilité de métamorphose, sa possibilité de transformation, sa possibilité de changement.
Si on compare à l'animal, que ce soit un crabe, une pieuvre ou un quadrupède...
On n'a jamais tellement vu de vache se mettre sur deux pattes pour inviter son taureau à valser.
Tandis que le corps humain, c'est un Arlequin.
Il a mille couleurs...
Non seulement il est capable de changements considérables...
D'ailleurs, dans l'évolution animale, on voit bien que cette faculté croît de plus en plus.
À mesure qu'on va du crabe vers le singe, le singe est mimétique, il a un peu cette possibilité de métamorphose.
Et quand on va vers l'homme, en effet, cette métamorphose est quasi indéfinie.
Non seulement il peut se transformer en n'importe quoi, mais, demandez à un sportif, il peut inventer un geste nouveau.
Quand j'étais sportif, j'ai appris à sauter en hauteur en ciseaux, puis en rouleau ventral, en rouleau californien, puis en fosbury-flop.
Rien que ce sport-là avait changé trois fois au cours de ma vie.
Il fallait être capable de quatre gestes différents.
Non seulement sa possibilité de changement est indéfinie, mais il invente des gestes nouveaux, ce qu'on voit aussi dans la danse.