Au cœur du débat actuel sur l’homéopathie, le placebo et son corollaire, l’effet placebo, font l’objet de multiples recherches. Ce phénomène psycho-socio-biologique commence à livrer certains secrets, les études d’imagerie permettant même d’objectiver son mode d’action dans le cerveau. Mais est-il utile et légitime de recourir au placebo ? Et si oui, quelle place la médecine doit-elle lui accorder, dans un pays où la prescription médicamenteuse – pharmacologiquement active ou pas – est déjà forte, et ce alors qu’il existe souvent des alternatives aux traitements médicamenteux (activité physique, hygiène alimentaire, prise en charge psychologique ou simple repos). Mieux : peut-on mobiliser l’effet placebo – lié à la prise de pilules ou non – pour diminuer les doses de médicaments, en particulier pour des pathologies d’ordre psychosomatique ? Toutes ces questions restent discutées. Seule certitude, le fameux primum non nocere (« d’abord, ne pas nuire ») doit rester la boussole de toute pratique médicale, surtout quand elle est confrontée aux pathologies les plus graves. Et l’exigence d’efficacité conduit à privilégier les thérapeutiques éprouvées. Pour le reste, les études scientifiques aident peu à peu à résoudre les interrogations actuelles.

Image légendée
©iStock / Getty Images Plus, SARINYAPINNGAM

Et « l’effet médecin » ?

C’est bien connu : le premier médicament du médecin, c’est le médecin lui-même. Des études, dont une toute récente de l’Inserm (1), montrent que l’état des patients s’améliore plus vite lorsque le médecin fait preuve d’empathie et s’inscrit dans une démarche explicative positive. À l’inverse, des médecins négatifs, n’offrant aucune attention, n’obtiennent pas cet « effet médecin », qui vient éventuellement s’ajouter à un effet placebo ou à un réel effet pharmacologique en cas de prescription d’un médicament. Cet effet est l’un des ingrédients principaux des améliorations dites non spécifiques des thérapies. Il expliquerait, à lui seul, des rétablissements dans des pathologies fonctionnelles sans risque majeur, notamment dans le cadre des médecines dites complémentaires.

(1) C. Fauchon et coll., Scientific Reports (2019)

Divergences autour des définitions

Alors même que la littérature scientifique s’accumule sur le sujet, aucune définition consensuelle n’existe sur le placebo, encore moins sur l’effet placebo.

Le terme placebo (« je plairai » en latin) apparaît dans les manuels de médecine à la fin du 18e siècle. À cette époque, on le définit comme un « remède prescrit plus pour faire plaisir au patient que pour lui être utile ». On utilise des pilules à base d’eau, de sucre, d’amidon, de mie de pain ou de sérum physiologique. Peu de médicaments efficaces lui font concurrence. Le placebo prend une autre dimension au milieu du 20e siècle, lorsqu’on commence à l’utiliser pour évaluer l’efficacité de nouveaux traitements pharmacologiques, dans le cadre d’essais cliniques contrôlés. Représentant la valeur zéro de l’efficacité thérapeutique, on le définit comme « une substance ou une procédure sans aucune action spécifique pour le trouble traité ». On distingue le placebo pur, dépourvu de toute action thérapeutique (des gélules d’eau et de sucre, par exemple), du placebo impur qui possède une activité pharmacologique mais pas dans la pathologie où il est utilisé (la vitamine C dans le cadre d’une grippe, par exemple). Quant à la définition de l’effet placebo, elle divise les spécialistes. Pour certains, cet effet désigne les améliorations apportées par la prise du placebo. Alors que pour d’autres, il englobe toutes les améliorations liées au « rituel thérapeutique » (le médecin, la prescription, le geste médical…) et au contexte psychosocial qui entoure le soin. Au vu des dernières publications scientifiques, il semble aujourd’hui plus juste d’évoquer les effets placebo, au pluriel, tant les réalités que ce terme recouvre sont multiples. Les études d’imagerie confirment d’ailleurs qu’il existe plusieurs voies d’action différentes d’un placebo à l’autre, voire d’un patient à l’autre.

Image légendée
©WALTRAUD GRUBITZSCH / ZB / dpa Picture-Alliance / AFP

Chirurgie placebo !?

Dans certaines indications, des interventions chirurgicales n’ont pas plus d’efficacité qu’une « chirurgie placebo », qui consiste simplement à inciser la peau sans procéder à aucune modification anatomique. Telle est la conclusion surprenante d’une méta-analyse regroupant dix études dont huit ne sont pas parvenues à démontrer un effet supérieur des opérations réelles (1). Il s’agissait d’opérations d’arthrose du genou et de l’avant-pied, de chirurgie vaginale contre l’incontinence, de chirurgie ORL contre l’apnée du sommeil ou encore de neurochirurgie dans le cas de la maladie de Parkinson. Un effet probablement lié aux très fortes attentes des patients vis-à-vis de la chirurgie, considérée comme particulièrement efficace.

(1) Probst P. et al., Medicine, 2016

Comment objectiver la part de l’effet placebo ?

Il est extrêmement difficile d’identifier les différents facteurs impliqués dans une guérison. C’est l’un des principaux défis des recherches sur le placebo.

Pour évaluer l’efficacité d’un médicament, la méthodologie idéale est l’essai randomisé en double aveugle contre placebo. Autrement dit, la comparaison de plusieurs groupes de patients où ni les participants ni les équipes médicales ne connaissent la nature du traitement administré. Cette approche permet de réduire au maximum les facteurs psychologiques susceptibles d’influencer les résultats, notamment l’attente de bénéfices d’un traitement pharmacologique. Si l’on voulait distinguer et tenter de mesurer les différentes composantes qui entrent en ligne de compte dans la guérison d’un patient – l’activité pharmacologique du médicament, l’effet placebo, l’effet médecin, l’évolution naturelle de la maladie... – il faudrait comparer quatre groupes : celui traité avec un médicament ; celui traité avec un placebo ; celui bénéficiant uniquement d’une consultation médicale ; et un groupe contrôle sans consultation ni traitement. Mais plusieurs problèmes se posent. Le double aveugle est impossible à mettre en place pour les groupes sans traitement ou sans consultation. Le fait d’être pris en charge au plan médical influence l’évolution des patients, qui auront tendance à faire plus attention à eux, à être plus motivés. C’est ce qu’on appelle « l’effet Hawthorne ». Et les règles de l’éthique médicale ne permettent pas la réalisation d’études avec des patients sous placebo quand il existe un traitement réputé efficace. Au bout du compte, il est difficile d’objectiver la part de l’effet placebo dans un processus thérapeutique.

Le flou des résultats chiffrés

Les résultats des études sur le placebo sont difficilement reproductibles

et présentent de nombreux biais.

On entend parfois dire que l’effet placebo fonctionne dans un tiers des cas. Qu’en est-il réellement ? Cette estimation fait référence à l’étude de 1955 d’un anesthésiste américain qui, par manque de morphine, avait soulagé des blessés durant la guerre par injection d’une simple solution saline. Problème : à cette époque, était considéré comme effet placebo tout soulagement ou guérison non consécutifs à la prise d’un médicament, sans tenir compte notamment de l’évolution naturelle des symptômes. Des travaux plus récents, avec des groupes contrôle ne recevant ni traitement ni placebo, révèlent une efficacité moindre. Mais les résultats diffèrent énormément d’une étude à l’autre. Ainsi, l’efficacité d’un placebo sur la douleur varie de 5 à 65 % selon les essais cliniques (1). Après avoir passé en revue plus de 200 publications portant sur 60 pathologies, des chercheurs danois ont estimé que 92 % des études présentaient des biais méthodologiques importants, notamment dits de notification – bon nombre de ces études se basant exclusivement sur des éléments rapportés par les patients (2). En général, il s’agit d’effets positifs contre la douleur, les nausées, les phobies, la toux, l’essoufflement ou le syndrome du côlon irritable. Mais plusieurs études (3) rapportent aussi des améliorations physiologiques objectives après placebo, par exemple sur certains troubles du rythme cardiaque, ou la libération de dopamine chez des patients parkinsoniens. À l’inverse, dans la maladie d’Alzheimer, le cancer ou l’obésité, la réponse au placebo est nulle.

(1) Zubieta et al., Ann N Y Acad Sci., 2009

(2) Cochrane Systematic Review, 2010

(3) Petrie KJ et al., Annual Review of Psychology, 2019

Suis-je placebo-répondeur ?

Certaines personnes semblent davantage réagir au placebo. Leur réponse accrue pourrait s’expliquer par des traits de personnalité (comme l’optimisme ou le niveau d’empathie), par leur vécu de patient ou par certains caractères génétiques (comme les gènes impliqués dans le système dopaminergique ou opioïde). Une récente étude d’imagerie portant sur 63 personnes souffrant de douleurs chroniques du dos suggère qu’il est même possible de prédire les niveaux de réponse individuelle en observant certaines structures du cerveau, notamment à l’intérieur du cortex préfrontal (1). En mars 2019, une revue de la littérature suggère également qu’il est plus aisé d’obtenir une réponse placebo chez les hommes que chez les femmes (2).

(1) E. Vachon-Presseau et al., Nature Communications, 2018

(2) P. Enck et S. Klosterhalfen, Frontiers in Neuroscience, 2019

Image légendée
©B&M Noskowski/Getty Images

Quid de l’information du patient ?

Depuis 2010, plusieurs études montrent qu’il n’est pas nécessaire de mentir pour obtenir un effet placebo. Jusqu’à peu, on pensait que l’effet placebo ne fonctionnait que lorsque les patients ne savaient pas qu’ils prenaient un placebo.

Cela impliquait donc de tromper le patient sur ce qui lui était prescrit, le privant ainsi de son consentement éclairé. Ce qui soulevait une question éthique importante. Toutefois, une étude publiée en 2018, sur 46 personnes atteintes de rhinite allergique, semble montrer que les symptômes s’améliorent de façon identique lorsqu’on donne un placebo avec ou sans information, comparativement au groupe sans placebo (1). « Un résultat qui s’explique sans doute par le conditionnement : nous sommes habitués à avaler des pilules ! », avance l’auteur principal de l’étude, Michael Schaefer, professeur à l’école médicale de Berlin. Dès lors, pourquoi ne pas être totalement transparent ? Une douzaine d’études récentes, portant sur le syndrome du côlon irritable, des douleurs de dos ou la migraine épisodique, suggèrent qu’un effet placebo existe même lorsque les patients sont clairement informés de la nature inerte de la substance qu’on leur administre. C’est le concept dit du placebo ouvert. Selon les études, entre 15 et 60 % des patients recevant ouvertement un placebo rapportent un soulagement de leurs symptômes (2), une fourchette très large, mais dans tous les cas un pourcentage significativement supérieur au groupe de patients qui ne reçoivent aucun traitement. L’une des explications tiendrait au pouvoir des suggestions positives : même si les patients savent que la substance est inerte, l’explication par les médecins du fonctionnement de l’effet placebo sur leurs symptômes est décisive.

(1) Ted Kaptchuk et Franklin Miller, BMJ, 2018

(2) Schaefer M. et al., PlosOne, 2018

Image légendée
©iStock / Getty Images Plus, kokouu

L’acupuncture au tamis de l’évaluation

Depuis 1975, des études tentent d’évaluer l’efficacité de l’acupuncture par rapport au placebo : stimuler en dehors des méridiens traditionnels, utiliser des aiguilles télescopiques (dites rétractables) afin de ne pas transpercer la peau, ou recourir à des LED simulant l’acupuncture laser (1). La plupart des travaux menés en Asie tendent à montrer l’intérêt de cette technique, à l’instar d’une récente étude conduite en Chine auprès de 400 patients souffrant d’angine de poitrine (2). En Occident, en revanche, la majorité des méta-analyses échouent à montrer un effet supérieur à celui du placebo (3). Les effets de cette pratique ancestrale restent donc débattus.

(1) Yang Y et al., Acupunct Med., 2016 ; Xiang Y et al., J Pain Res., 2017

(2) Zhao L., Jama, juillet 2019

(3) À quelques exceptions près, comme pour des migraines ou troubles musculo-squelettiques. Vickers AJ et al., J. Pain, 2018

Quelle place dans l’arsenal thérapeutique ?

Selon certains médecins, le placebo peut parfois être utile comme outil complémentaire des traitements conventionnels.

D’un point de vue scientifique, les traitements n’ayant pas démontré leur efficacité n’ont pas leur place en médecine. À l’évidence, le placebo ne peut se substituer à un traitement avéré ni en retarder la mise en œuvre. Pour autant, certains médecins appellent à le considérer comme un allié thérapeutique, un outil parmi d’autres dans les stratégies de soin. Cela suppose naturellement que le placebo ait démontré une meilleure efficacité que l’absence de traitement et qu’il ne présente pas d’effets secondaires dangereux, nuance Rémy Boussageon, professeur des universités de médecine générale (1). À condition aussi d’être honnête avec les patients et de les informer de la nature du placebo, insiste Ted Kaptchuk, professeur à la faculté de médecine de Harvard, tout en notant qu’une des barrières à un tel usage est qu’il « va à l’encontre de la formation et des normes médicales dans lesquelles les médecins prescrivent des médicaments aux propriétés biochimiques reconnues pour atteindre un certain bénéfice thérapeutique » (2). En pratique, une étude menée sur 1 200 internes et rhumatologues américains montre que plus de la moitié des médecins prescrivent des placebos, mais le plus souvent impurs (par exemple, la vitamine C pour la grippe) ; l’usage de placebos purs restant rare (2 à 3 %) (3).

(1) L’efficacité thérapeutique. Objectivité curative et effet placebo, thèse Lyon-3, 2010

(2) Ted Kaptchuk et Franklin Miller, BMJ, 2018

(3) JC Tilburt et al., BMJ, 2008

L’effet placebo par procuration

L’empathie du soignant rassure et crée un environnement plus propice au soulagement. Cela pourrait expliquer que l’effet placebo s’observe même chez les animaux domestiques ou les nourrissons, sensibles aux émotions de leur entourage. Ainsi, une étude menée auprès de 119 enfants de moins de 4 ans souffrant d’une toux montre, pour le groupe placebo, une amélioration supérieure à celle du groupe sans traitement (1). On parle d’effet placebo par procuration : ce sont les parents qui, convaincus de l’utilité d’un sirop, adoptent un comportement qui induit, chez l’enfant, un effet placebo.

(1) IM Paul et al., Jama Pediatr, 2014

Image légendée
©Juniors Bildarchiv GmbH / Alamy Stock Photo
Image légendée
Infographie : Julien Tredan-Turini
Image légendée
©Pascal Deloche / Photononstop / AFP

L’homéopathie sur la sellette

« Les médicaments homéopathiques n’ont pas démontré une efficacité suffisante pour justifier d’un remboursement ». Tel est l’avis rendu le 28 juin 2019 par la Haute Autorité de Santé, après avoir évalué plus de 1 000 études portant sur 1 163 remèdes homéopathiques. Mais l’impact du déremboursement – annoncé par le gouvernement pour 2021 – sur les dépenses de santé reste débattu. Pour les tenants de l’homéopathie, de nouvelles études mériteraient d’être lancées, l’évaluation du « service médical rendu » ne pouvant s e limiter à tester l’efficacité pharmacologique des granules. Pour les plus radicaux, l’homéopathie ne devrait plus être enseignée à l’université et il faudrait informer clairement le patient qu’elle relève uniquement d’un effet placebo.

Nocebo, la face obscure du placebo

Si le placebo (« je plairai » en latin) soulage, le nocebo (« je nuirai » en latin) est au contraire à l’origine de symptômes indésirables.

Mis en évidence en 1961 (1), le nocebo désigne la survenue d’effets secondaires en l’absence de tout risque objectif. Il intervient parfois lors du remplacement d’un médicament princeps par un générique ou, plus simplement encore, dans les hausses de tension artérielle ou de rythme cardiaque observées en consultation, liées à la « peur de la blouse blanche ». Autre exemple : les symptômes ressentis par les individus « hypersensibles » en réaction aux ondes électromagnétiques, sans que le lien entre les effets et la cause supposée n’ait pu être scientifiquement établi ; l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) recommande cependant de poursuivre les recherches, notamment par des études de suivi à long terme (2). Tout récemment, l’effet nocebo aurait aussi joué un rôle dans « l’affaire du Lévothyrox ». Introduite en France en 2017, la nouvelle formule de ce médicament a entraîné, chez certains patients, crampes, maux de tête ou vertiges. Certes, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a conclu à son absence de toxicité (3). Mais s’agissant d’un médicament à marge thérapeutique étroite – c’est-à-dire pour lequel la différence entre doses efficace et inappropriée est faible – le changement d’excipient (enrobage du principe actif) exigeait peut-être de procéder à un nouveau dosage de l’hormone thyroïdienne et d’adapter la posologie. L’ANSM s’interroge ainsi sur un défaut d’information et d’accompagnement des patients. Car, comme pour le placebo, le nocebo est au cœur de la relation patient-médecin.

(1) Kennedy WP, Med World, 1961

(2) Anses, mars 2018

(3) ANSM, juin 2019

Peut-on utiliser le placebo en thérapeutique ?

Pour Rémy Boussageon, professeur des universités de médecine générale et docteur en philosophie,
quatre conditions sont indispensables pour que l’usage du placebo reste éthique et rationnel.