La foudre déploie ses dards électriques dans les cieux terrestres depuis la nuit des temps. Sur Terre, elle a certainement permis à l’humanité de s’approprier le feu. Attribut du dieu grec Zeus, elle nous a aussi inspiré les plus grands mythes. Pourtant, la violence de ce phénomène météorologique nous met encore et toujours au défi de nous en protéger. De surcroît, les orages sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. Le processus d’électrisation des nuages ou la manière dont la foudre se déclenche puis se propage ne sont toujours pas bien compris par les physiciens de l’atmosphère. Le projet européen Exaedre, mené en Corse en octobre 2018, vise ainsi à mieux connaître les différents processus à l’œuvre dans les nuages d’orages. Car l’éclair est l’aboutissement d’une foule de phénomènes microphysiques, dynamiques et électriques d’une grande complexité. Ces nouvelles connaissances devraient permettre de mieux suivre les orages en temps réel et d’en améliorer les prévisions météorologiques. Les premiers résultats de ces travaux sont en cours d’analyse.

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©Julien Tredan-Turini

Un jet d’affaires transformé en laboratoire volant

À une centaine de kilomètres au sud de Bastia, sur le tarmac de la base aérienne de Ventiseri-Solenzara, l’avion Dassault Falcon 20 de la flotte Safire (Service des avions français instrumentés pour la recherche en environnement) attend l’ordre de décoller. Une dizaine de scientifiques et d’ingénieurs sont sous la responsabilité d’Éric Defer, chercheur CNRS au laboratoire d’aérologie de Toulouse. Les scientifiques ont fixé de nombreuses sondes sous les ailes du jet afin d’obtenir des images des gouttes d’eau, cristaux et agrégats de glace le long de la trajectoire de vol. Objectif : reconstituer le « portrait » très détaillé de la composition du nuage.

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©Cyril Frésillon
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©Universcience

Cockpit sous tension

Au cours du vol, en fonction des données radar permettant de suivre le déploiement de l’orage, le pilote adapte le comportement de l’avion. Il tente au maximum de passer entre les éclairs pour ne pas mettre en danger les équipements scientifiques, vulnérables en cas de surcharge électrique. L’avion s’est fait foudroyer une seule fois lors de la campagne, sans dommage pour l’équipage ni pour le matériel. Même si les exigences de sécurité sont équivalentes à celles des vols commerciaux, les opérateurs et le pilote subissent de fortes turbulences tout au long de ces éprouvantes sessions.

Chasseurs d’orages en Corse

Pour la première fois, un avion instrumenté pénétrant au cœur des cumulonimbus a pu enrichir les analyses faites au sol.

Dans le contexte du réchauffement mondial, la violence des orages pourrait aller en augmentant. Pour le savoir, encore faut-il être capable de bien caractériser les phénomènes orageux. Tel est l’objectif du projet européen Exaedre (EXploiting new Atmospheric Electricity Data for Research and the Environment), mené conjointement par le CNRS, le Cnes et Météo France. En octobre 2018, des scientifiques français sont ainsi partis à la traque des orages dans le ciel de Corse. Nous les avons suivis sur les sommets montagneux où sont disposées les antennes du réseau d’observation des éclairs et à bord de l’avion instrumenté du CNRS. Bardé de capteurs, celui-ci permet de collecter des données sur la composition et la distribution des particules présentes dans le nuage d’orage. Car ce sont bien les particules et leurs brutales rencontres qui génèrent l’électricité statique inhérente aux orages. Le plan de vol idéal de l’avion consiste à se diriger tout en haut du cumulonimbus, puis à s’approcher du cœur de convection au fur et à mesure que l’orage se développe. Un autre projet scientifique, sud-américain cette fois (Relampago – Cacti), étudie aussi les processus à l’œuvre dans les cumulonimbus, mais leur aéronef est un drone qui ne peut pas voler à l’intérieur des nuages, seulement au-dessus. Il ne récolte donc pas d’imagerie des particules en suspension dans le nuage. Lors de la mission Exaedre, 10 000 éclairs ont été mesurés au cours de 15 orages. Diamètre moyen des cellules orageuses : 25 à 30 kilomètres, contre 1000 kilomètres pour celles de la campagne sud-américaine Relampago.

De l’électricité dans l’air

Les physiciens Sylvain Coquillat et Éric Defer vérifient une antenne du réseau Saetta (Suivi de l’activité électrique tridimensionnelle totale de l’atmosphère), qui quadrille la Corse depuis 2014. Positionnée à 1940 mètres d’altitude, au cœur du plus haut massif corse, le Monte Cinto, cette antenne radio de très haute fréquence détecte l’activité des éclairs dans un rayon de 200 km. Constitué de 12 dispositifs de ce type, le réseau Saetta permet de localiser en trois dimensions les éclairs en détectant leur rayonnement électromagnétique.

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Du cumulonimbus à la foudre

Au cœur du nuage d’orage, l’éclair, qu’on appelle foudre quand il touche le sol, est le résultat de phénomènes microphysiques et électriques complexes.

Les orages sont liés à la présence d’un type particulier de nuages : les cumulonimbus. Mais comment l’activité électrique se manifeste-t-elle ? En fait, le cumulonimbus est un véritable condensateur, dont le potentiel électrostatique provient essentiellement de la puissance des courants opposés qui le traversent. Plus la chaleur est intense au sol, plus le mouvement ascendant de convection est fort et plus il y a de risques d’orages. L’air chargé de vapeur d’eau et de poussières accumule des cristaux de glace à mesure qu’il grimpe en altitude. Au sommet du nuage – qu’on appelle l’enclume – à plus de 10 kilomètres de haut, des agrégats de glace se forment. Lorsqu’ils deviennent trop lourds, ils chutent et rencontrent les gouttes et les cristaux qui montent. Ces deux courants antagonistes circulant à grande vitesse, les frictions subies par les particules de poussière, d’eau et de glace en suspension sont telles que des électrons sont arrachés. Résultat : les particules deviennent chargées électriquement, de la même façon que le ballon de baudruche frotté contre un tissu synthétique génère de l’électricité statique. Sauf que le cumulonimbus est un monstre d’énergie potentielle de plusieurs millions de volts ! En son sein, la dynamique à l’œuvre mène la plupart du temps à une accumulation de charges négatives à la base et de charges positives au sommet. Bien que l’air soit un isolant, lorsque le déséquilibre entre les charges devient trop important, l’électricité parvient à se frayer un chemin et la décharge survient. On estime que la majeure partie des éclairs ont lieu au sein du nuage ou entre deux nuages. Seules 20 % des décharges atteignent le sol : c’est la foudre.

2018, une année foudroyante !

L’entreprise Météorage, filiale de Météo France, a publié son bilan de foudroiement pour 2018. Avec 725 000 éclairs nuage-sol et 296 jours d’orages, 2018 est ainsi l’année la plus foudroyée depuis trente ans. Le pic d’impacts de foudre a été atteint le 9 août, jour de la St-Amour, avec 41 639 éclairs nuage-sol.

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©Météo-France – Météorage

Les victimes du coup de foudre

Le foudroiement serait à l’origine de 6 000 morts par an dans le monde et 240 000 fulgurés, avec de lourdes séquelles.

Phénomène météorologique extrêmement puissant, la foudre provoque un grand nombre d’incendies sur notre planète – plus de 22 000 par an en moyenne rien qu’aux États-Unis – et serait responsable d’environ 6 000 morts par an dans le monde et de 240 000 fulgurés, des survivants avec des séquelles invalidantes. Car contrairement aux idées reçues, la grande majorité des personnes foudroyées survivent. En France, selon l’INSERM, il y a 15 à 25 décès par an liés à la foudre et une centaine de fulgurés. Comment expliquer qu’une part importante des personnes survit à la foudre ? Un institut vient de voir le jour dans notre pays pour tenter d’explorer ce champ médical méconnu : l’Institut de médecine environnementale kéraunique, à Toulouse (« keraunós » symbolise la foudre dans la mythologie grecque et romaine). Les atteintes liées à la foudre sont en effet très variées. Elles vont des plus bénignes, comme des contusions et fractures, aux plus graves : troubles du rythme cardiaque, troubles neurologiques ou encore atteintes des organes causées par l’onde de choc. Les patients, même foudroyés en groupe, manifestent des symptômes très différents, sans que l’on puisse encore expliquer pourquoi. Un protocole de recherche débute en France en octobre 2019, visant à traquer les nanoparticules métalliques dans le corps des survivants. L’hypothèse est que nous serions plus ou moins « attirants » pour un éclair, et que ces mêmes nanoparticules métalliques, une fois modifiées par le courant électrique qui a circulé dans le corps, peuvent agir à très long terme sur l’organisme.

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©Météo France

Améliorer la prévision des orages

La prévision des orages est actuellement efficiente à l’échelle départementale, mais pour être plus précis, et pouvoir cibler des zones exposées au danger, il va falloir intégrer les effets du relief dans les modèles. C’est l’un des objectifs à court terme de Météo France. Quant à l’intégration de la donnée « éclair », qui est au cœur du projet Exaedre, elle ne pourra se faire qu’à l’issue de nouvelles campagnes de terrain, mais aussi grâce à l’élaboration d’un modèle numérique capable de simuler le comportement d’un nuage d’orage (à partir du modèle « Méso-NH » déjà utilisé dans la simulation de l’atmosphère.

Premiers résultats d’Exaedre

Un an après la mission Exaedre, l’équipe est encore loin d’avoir traité toutes les données récoltées lors des huit vols de l’avion instrumenté.

Les vols et les mesures au sol réalisés en Corse ont montré que plus l’orage se développe, plus il y a d’hydrométéores (particules d’eau et de glace) à l’intérieur du nuage, et plus les éclairs durent longtemps et se déploient dans l’espace. Cela confirme que le rôle des particules en suspension est crucial dans les processus orageux. L’équipe a également observé que les agrégats de glace (appelés graupels) sont plus nombreux dans le cœur convectif du nuage et qu’ils sont clairement associés au développement du champ électrique. Leur suivi devrait donc permettre d’améliorer la prévision des orages dangereux et des éclairs. Mais on ne peut pas faire voler un avion instrumenté lors de chaque orage ! Il va falloir développer des instruments d’observation à distance (satellites, radars au sol…), ainsi que des algorithmes (voire des intelligences artificielles) capables de traiter ces nouvelles données. En attendant, les informations récoltées sur les graupels lors de la mission Exaedre sont déjà en cours d’intégration dans les modèles météorologiques de Météo France. À plus long terme, les scientifiques espèrent pouvoir simuler les orages en y intégrant les données (comme la taille et la concentration de ces fameux agrégats) qui seront obtenues en temps réel. Ainsi, il sera sans doute possible un jour de mieux coordonner les alertes et la prévention autour des phénomènes orageux violents.

Au Mexique, un orage de grêle record

Les orages font souvent des dégâts. Au premier chef, les violentes précipitations de pluie ou de grêle ravagent des récoltes entières et mettent les infrastructures à rude épreuve. Le 1er juillet 2019, un orage de grêle d’une intensité extrême a surpris les habitants de plusieurs villes du nord du Mexique. Les jours précédents avaient vu le mercure atteindre 31 °C. La grêle, qui n’est pas inhabituelle à cette période de l’année, a déposé une couche de glace de deux mètres. Du jamais vu ! Les municipalités de Guadalajara et Tlaquepaque ont fait état de 200 maisons et commerces touchés et d’au moins 50 véhicules emportés par le torrent qu’a formé la glace.

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©ULISES RUIZ/AFP
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©Nasa

Détection spatiale d’éclairs

Le perfectionnement des outils de télédétection des éclairs depuis l’espace est crucial. En plus de tous les satellites mondiaux déjà capables d’observer l’activité électrique de l’atmosphère, la Nasa, avec le satellite GOES-R (ci-dessus), étudie depuis 2016 des régions pour lesquelles il y avait très peu de données orage (Amérique du Sud). De son côté, l’Europe va se doter, à partir de 2021, d’un nouveau détecteur d’éclairs très performant qui va être installé sur un prochain satellite Meteosat de l’Agence spatiale européenne.

Pourra-t-on un jour exploiter l'énergie issue de la foudre ?