Pourquoi chez-vous ? Sébastien Charnoz – Astrophysicien à l’Université Paris Diderot
Très rapidement, moi quelque chose qui m’a tout de suite beaucoup attiré, c’est la nuit. Quand on commence à regarder le ciel, on a l’impression au début de voir une purée d’étoiles, si je puis dire, et puis en fait, quand on commence à plonger dedans, on s’aperçoit que les étoiles s’organisent entre elles, les galaxies s’organisent entre elles. Les phénomènes naturels, sous leurs dehors un petit peu, comment dire, désordonnés, un petit peu incompréhensibles, quand on commence à poser son regard, en fait on s’aperçoit que toutes les choses ont l’air de s’emboiter avec une fabuleuse subtilité et avec une fabuleuse précision. En astronomie, donc qui est mon domaine de recherche, je trouve que c’est extrêmement saisissant de comprendre le lien qui existe entre galaxies, étoiles, planètes et apparition de la vie. Il y a un cycle de la matière dans l’univers. Et ça vous redonne une place dans cette espèce de grand tout. Je trouve qu’intellectuellement et même sur le plan un peu philosophique, vous vous réappropriez un lien profond peut-être un peu disparu dans notre culture. Ce lien, même si vous le sentez confusément, ça lui donne une forme. Quelque part, ça vous apaise. Cette expérience de la beauté, cette expérience d’espèce d’harmonie naturelle, tout chercheur, à un moment ou à l’autre, l’a vécu un petit peu, et je pense que c’est ça qui nous tient fondamentalement dans ce milieu. Parfois, je m’absorbe dans mes pensées et je me dis : « Mais qu’est-ce que je verrais si j’étais sur place, par exemple, qu’est-ce que je verrais si j’étais là au moment où par exemple la lune était en train de se former », parce qu’il y a des trucs qu’on ne comprend pas et donc je me dis « Bah tiens, qu’est-ce qui se passerait ? » Et là, j’essaie, je ne sais pas comment dire, c’est un peu comme si j’étais au cinéma. Quand tu t’aperçois qu’un certain nombre d’idées différentes que tu avais ou un certain nombre de faits dont tu es au courant, semblent naturellement commencer à s’emboiter dans la même histoire. Là, tu sais que tu commences à tenir quelque chose d’intéressant. Et moi, je te dirais qu’au fond, la bonne idée, c’est de manière un petit peu à l’emporte-pièce, je dirais que la bonne idée, c’est la bonne histoire. Et quand tu arrives à embarquer ta propre pensée dans une seule et même narration, dans une seule et même histoire et que tu arrives à raccrocher les différents éléments de tout ce que tu connais sur la question, là tu sais que tu as trouvé quelque chose. Il faut vivre avec ta question. Et parfois ça t’épuise. Mais je pense que c’est ça la clé, en fait. Il faut vivre avec. La démarche scientifique, je pense, est profondément une démarche irrationnelle, mais qui se donne comme contrainte à la fin de se présenter sous sa forme finale comme quelque chose de parfaitement rationnel. Mais le processus qu’il a fallu mettre en place pour arriver jusqu’à la forme finale, on va dire la bonne idée ou le résultat scientifique, est un processus qui a je pense à beaucoup de moments fait appel à l’irrationnel. Et à la fin quand on vous dit : « Mais comment vous avez eu cette idée ? » Souvent vous êtes incapable de vous raconter l’histoire de la construction de l’idée. C’est une expérience intérieure, en fait. À un moment ou à un autre, par miracle, ce que tu racontes, a l’air de marcher. Tu expliques les mesures ou tu entres bien dans les barres d’erreur ou ton scénario commence à être bien en accord avec tout ce qui est connu. Et pendant ces rares moments fugitifs, là tu as l’impression d’avoir un peu brisé le voile du réel, comme la caverne de Platon. Tu as l’impression de t’être retourné à un moment et d’avoir vu un petit peu ce qui se passait derrière toi, au lieu d’avoir regardé les ondes projetées sur le mur. Et en fait, c’est pour ces instants que tu vis.