Pourquoi chez-vous ? Bérengère Dubrulle – Physicienne au SPEC 00’14
Ma grand-mère avait une maison dans le sud de la France, et dans lequel il y avait des rochers en granit qui étaient chauffés par le soleil la journée. Et la nuit, on allait s’étendre sur ces rochers, et j’avais là les yeux plongés dans l’immensité du ciel, on ne savait pas où il commençait, où il finissait, d’où venaient ces étoiles filantes qui parfois zébraient le ciel. On savait que dans chaque voie lactée, il y avait un soleil, et dans chaque soleil, il y avait peut-être quelques planètes autour, et sur quelques planètes il y avait peut-être de l’autre côté une petite fille qui était allongée sur son rocher, et qui me regardait. La recherche est née de ça, c’est cette rencontre entre la sécurité de la Terre sur laquelle on était et de l’autre côté, il y a l’immensité du ciel et il y a les questions qu’on se pose. Et ces questions, je cherche toujours à y répondre. Je me suis vite aperçu que la clé du mystère de l’univers, en fait, résidait dans l’équation de Navier-Stokes. Si j’arrive à la résoudre, je pourrais vous expliquer l’univers puisque tout l’univers est fait de fluides et tous les fluides sont gouvernés par l’équation de Navier-Stokes. J’ai mis la clé dans l’équation de Navier-Stokes et j’ai beau tourner, la porte ne s’ouvre pas. Je vais essayer de trouver un moyen de faire tourner cette maudite clé dans la serrure. Résoudre l’équation de Navier-Stokes, c’est résoudre l’origine du monde, en quelque sorte. Et un jour, j’arriverai à faire un petit pas sur la pile de compréhension de l’équation de Navier-Stokes. Eh bien, je penserai un peu à Neil Armstrong et ce sera mon petit pas pour moi et mon grand pas pour l’humanité. L’inventeur de la molécule de benzène a eu son idée pendant la nuit. En fait, il était confronté à un grand mystère, c’est-à-dire qu’il avait devant lui une chaîne carbonée très longue, et on n’arrivait pas à la faire tenir sur une ligne. Cela défiait les lois de la chimie connues. Pendant la nuit, il a rêvé d’un serpent qui se mordait la queue. Alors, le matin, il se réveille, il regarde sa molécule, et il dit : « Bah oui, en fait, c’est un cercle ». On peut même avoir des prix Nobel en dormant, c’est assez extraordinaire. Souvent, je me pose des questions très ardues que je n’arrive pas à résoudre durant ma journée de travail. Et je reviens à la maison en portant ce fardeau, avec cette question, et là, le quotidien de mère de quatre enfants m’assaille. Et puis une fois que j’ai rempli toutes ces obligations et que je suis bien ancrée dans la terre, bien sur mon rocher, comme par enchantement, pendant que j’ai fait tous ces processus de manière consciente, mon cerveau a tourné et tout à coup, j’ai la réponse à ma question, alors que je n’y ai pas vraiment réfléchi. On a toujours besoin de cette dualité entre l’ancrage dans la réalité pour pouvoir se projeter dans le monde des idées. De la même manière qu’on a besoin d’artistes, qu’on ne peut pas imaginer un monde sans littérature, sans peintres, sans poètes, on ne peut pas envisager un monde sans chercheurs parce que les chercheurs sont là pour augmenter la connaissance humaine. Et cette partie-là, c’est peut-être plus utile que n’importe quelle machine qui va vous faire des téléphones… Ces choses inutiles qui sont là juste pour nous rappeler qu’on est des hommes, ce sont celles que toute société totalitaire essaie de détruire en premier pour pouvoir mieux nous asservir. Donc pour éviter l’asservissement, cherchons !