Vingt ans après la tempête de 1999, la forêt face à une nouvelle catastrophe
Publié le - par le blob, l‘extra-média, avec l’AFP
« Ce n’est pas la même qu’avant, mais c’est de nouveau une forêt ». Une forêt de petits arbres. Vingt ans après les dévastatrices tempêtes de 1999, ils ont reconquis les zones détruites, mais doivent désormais affronter la catastrophe silencieuse du réchauffement climatique.
Dans la forêt communale de Weitbruch (Bas-Rhin), la souche d’un pin sylvestre fauché par les vents, le 26 décembre 1999, jouxte encore l’un de ses rares acolytes à être restés pointés vers le ciel déchiré par la tempête Lothar. Les deux tiers des 600 hectares de cette forêt de plaine ont été ravagés par la « tempête du siècle ». « En deux heures de temps… C’était dramatique », se souvient Pierre Geldreich, aujourd’hui directeur de l’agence travaux Rhin Vosges de l’Office national des forêts (ONF) qui évoque même la « tempête du millénaire », un « traumatisme terrible » pour les forestiers de l’époque.
La Lorraine toute proche fut la plus touchée. Les deux jours suivants, l’Aquitaine, surtout, prenait de plein fouet la tempête Martin. En tout, 140 millions de m3 de bois ont été détruits en France, selon l’ONF, l’équivalent de plus de trois années de récolte. Au moins 25 années de récolte pour la forêt de Weitbruch.
Horreur du vide
Plutôt que de débroussailler au plus vite et de replanter immédiatement, l’office gestionnaire des forêts publiques avait fait le choix inédit de privilégier la « régénération naturelle ». Avec un mot d’ordre : « attendre et observer cinq à dix ans », explique Pierre Geldreich, puis « accompagner » le développement d’une forêt moins dense et plus variée en espèces. « Il y a une dynamique naturelle, la nature a horreur du vide. »
Dans la forêt de Weitbruch, un hêtre centenaire fracturé en son milieu en 1999 est toujours là, devenu un refuge pour de petits animaux de toutes sortes. Les trouées désolantes des lendemains de la tempête sont difficilement décelables : les bouleaux – une espèce qualifiée de « pionnière » – ont pris possession des lieux. Sous leur protection grandissent de premiers hêtres tout jeunes. « Dans un siècle, vous aurez une hêtraie comme avant et elle s’est installée toute seule », constate avec satisfaction Pierre Geldreich. « Cela a beaucoup changé notre forêt », remarque Jean-Claude Krebs, adjoint au maire de Weitbruch. « Les stigmates sont encore là, car à l’échelle de la forêt, vingt ans ce n’est rien ».
Délégué général de la Fédération nationale du bois, Nicolas Douzain-Didier compare l’impact d’une tempête majeure à celui d’une guerre provoquant « une rupture dans la pyramide des âges ». En Alsace, la faune, en revanche, a résisté. Pressentant l’arrivée de la tempête, les animaux s’étaient mis à l’abri et, une fois les vents retombés, le fouillis d’arbres enchevêtrés et le gain de lumière a plutôt constitué un terrain de jeu propice aux chevreuils et autres gibiers. « C’était une catastrophe psychologique, économique, mais pas écologique », résume Pierre Geldreich.
Sécheresse et scolytes
Pour les finances de Weitbruch, la catastrophe est cependant toujours bien présente. Avant 1999, la commune de presque 3 000 habitants exploitait 2 500 m3 en moyenne par an. La tempête a fait 92 000 m3 de dégâts, dont la moitié de bois potentiellement commercialisable, mais sur un marché saturé où les prix se sont effondrés. Vingt ans plus tard, la commune n’exploite plus qu’environ 400 m3 par an.
« Nous équilibrons difficilement les comptes depuis la tempête », d’autant qu’« on se retrouve avec d’autres soucis : le réchauffement climatique, les scolytes… », explique Jean-Claude Krebs. Les deux dernières années de sécheresse ont fragilisé la forêt. Les scolytes, un insecte tueur d’arbres, pullulent. « C’est moins visible, car cela ne vient pas du jour au lendemain comme une tempête, mais c’est exactement le même phénomène et peut-être avec les mêmes quantités » de bois détruits, estime Pierre Grandadam maire de Plaine (Bas-Rhin) et vice-président de la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR). « Il y a vingt ans, on ne pensait pas au réchauffement climatique » mais aujourd’hui, « on a encore plus d’incertitudes sur le devenir de la forêt. »