Sur la route des humains archaïques, avec l’astronomie pour boussole
Publié le - par Le blob.fr, avec l'AFP
Et si l’évolution humaine n’était qu’affaire de mécanique céleste ? Depuis deux millions d’années, les grands changements climatiques liés aux variations de l’orbite de la Terre ont guidé les migrations des premiers humains, selon une étude publiée dans Nature. Erectus, Heidelbergensis, Néandertal, Sapiens… Ces différentes lignées du genre Homo, parmi lesquelles seule la dernière a survécu, ont parcouru l’Afrique et l’Eurasie sur des centaines de milliers d’années, se succédant, se croisant, parfois se mêlant.
Mais les paléontologues peinent à reconstituer la carte spatio-temporelle de ces peuplements anciens, par manque de fossiles humains. Une solution pour y pallier : fouiller dans le passé climatique. Parce qu’en modifiant les écosystèmes terrestres, le climat a forcément influencé les déplacements de populations. Mais là aussi, les données géologiques décrivant les variations environnementales (calotte polaire, sédiments lacustres, océanographiques ou de grottes…) sont très éparses. Une étude publiée dans Nature pourrait aider à compléter le puzzle, en montrant comment, sur une très longue période de deux millions d’années, l’évolution du climat a joué sur la distribution des espèces humaines et leur dispersion à travers le monde.
Tout se joue avec l’orbite de la Terre autour du Soleil, selon l’auteur principal de cette étude parue mercredi, le climatologue Axel Timmermann, de l’Université de Busan en Corée du Sud. Ce mouvement décrit une ellipse, dont la forme varie tous les 100 000 à 400 000 ans. Et tous les 20 000 ans environ, l’axe de la Terre par rapport à son plan orbital subit des oscillations.
« Un pendule »
Cette mécanique céleste sur le temps long joue sur le niveau de radiations solaires que notre planète reçoit, provoquant des ères glaciaires comme au Pléistocène (entre 2,6 million d’années et il y a 10 000 ans) et des alternances de conditions environnementales sèches et humides, comme les épisodes de « Sahara vert ». Le Pr Timmermann compare cette dynamique à celle d’un « pendule qui détermine in fine où trouver de la nourriture, et est donc lié à la survie d’une espèce, son adaptation à un milieu, et sa migration », explique-t-il dans l’étude. Son équipe s’est appuyée sur plus de 3 000 données fossiles et archéologiques, combinées à des modélisations climatiques. Un supercalculateur a ensuite simulé la manière dont le climat réagit à l’horloge astronomique. Les chercheurs ont ensuite élaboré un modèle calculant la probabilité qu’une espèce ait pu habiter tel ou tel endroit de la planète, sur des périodes de 1 000 ans s’étalant entre 2 millions d’années et il y a 30 000 ans. Le modèle nous transporte au début du Pléistocène inférieur, une période sèche et froide qui a succédé, il y a 2,6 millions d’années, à celle du Pliocène, plus humide et plus chaude. Elle voit des groupes africains comme Homo habilis et ergaster installés dans des milieux à « faible variabilité climatique, correspondant à une faible variabilité de l’orbite terrestre » : des sortes de « niches » d’habitat cantonné au sud et à l’est du continent.
« Vagabonds mondiaux »
Ce comportement se transforme vers la fin du Pléistocène : la végétation se modifie, ouvre des « corridors » vers le nord de l’Afrique, la péninsule arabique et l’Eurasie. Permettant à Homo erectus et Homo sapiens de devenir ces « vagabonds mondiaux », capables de s’adapter à un plus large éventail de conditions climatiques. Une flexibilité qui pourrait expliquer la survie de notre espèce, selon l’étude. Le modèle climatique suggère aussi un rôle pivot joué par Homo heidelbergensis, un groupe humain identifié en Allemagne au début du XXe siècle, qui aurait vécu entre il y a 800 000 et 160 000 ans. Les perturbations climatiques survenues en Afrique australe il y a 300 000 à 400 000 ans auraient influencé l’évolution de sa population, qui se serait séparé en une lignée eurasienne avec Néandertal, et une autre africaine dont seraient issus les plus anciens Sapiens.
L’hypothèse devrait faire débat chez les paléontologues, très divisés sur la façon de reconstituer l’arbre phylogénétique de l’évolution humaine. « Cette étude rassemble une quantité exceptionnelle de données environnementales sur un temps long. Le modèle développé aura certainement des applications pour comprendre les mouvements humains », a commenté Antoine Balzeau, paléoanthropologue au Muséum national d’histoire naturelle, qui n’a pas participé aux travaux. Il est en revanche plus dubitatif sur les interprétations de l’étude sur la différenciation des espèces. Notamment parce que plusieurs d’entre elles, comme les Dénisoviens, sont exclues du modèle.
Effets du climat sur les habitats humains archaïques et la succession des espèces © Axel Timmerman