Recherche confinée : un bilan très lourd, matériel, humain et financier
Publié le - par le blob avec l’AFP
Animaux sacrifiés, matériel biologique au congélateur, télescopes en sommeil… La crise du coronavirus a mis un coup d’arrêt brutal et inédit aux expérimentations en laboratoire, où les chercheurs, meurtris par une si longue absence, tentent de réparer les dégâts.
Hors des travaux portant sur la maladie Covid elle-même, quel sera l’impact du confinement sur la recherche française ? S’il est encore tôt pour répondre, le temps perdu sera difficile à rattraper, témoignent des professionnels interrogés par l’AFP.
Dès l’annonce du confinement par Emmanuel Macron en mars, le CNRS a envoyé des consignes à ses laboratoires pour fermer. Les chercheurs sont allés à tour de rôle ranger leurs paillasses, débrancher leurs incubateurs et jeter « tout ce qui pouvait pourrir », se souvient Eric Cascales, de l’Institut de microbiologie de la Méditerranée.
« On ne pouvait pas laisser les appareils allumés pour une durée inconnue… Heureusement l’essentiel du matériel a été préservé, comme les souches des bactéries servant aux expériences, congelées à -80 degrés », poursuit le directeur de recherche CNRS de ce laboratoire marseillais.
Au laboratoire de neurosciences de Paris-Seine à Sorbonne-Université, le choc a été plus rude : les équipes ont dû se résoudre à sacrifier plusieurs centaines de souris « car cela n’aurait servi à rien d’entretenir notre animalerie sans faire d’expériences, raconte Hervé Chneiweiss, son directeur. Ce fut un carnage abominable et un véritable crève-cœur. Nous avons beaucoup de considération pour ces animaux que nous avions élevés durant de longs mois pour étudier leur comportement », confie ce médecin et chercheur.
Tous ces cobayes sont non seulement morts « pour rien », mais il faut désormais reconstituer les lignées, recommencer les entraînements… « Deux mois de fermeture, c’est six mois de travail à l’échelle du laboratoire », résume Hervé Chneiweiss.
Financièrement, les conséquences se chiffrent à plusieurs dizaines de milliers d’euros, selon lui. Sans compter qu’à l’instar de nombreux autres établissements, ses équipes ont donné aux hôpitaux du matériel de biologie et de protection (gants, masques…), qu’il faut racheter.
Depuis la mi-mai, les labos se « décongèlent » progressivement et les chercheurs reprennent leurs marques en effectifs réduits.
« Le cœur de notre travail, c’est de faire des “manips”, on ne peut pas remplacer le travail en laboratoire par du travail administratif à la maison ». Et aujourd’hui, les chercheurs sont « plutôt en train de se réhabituer aux gestes (…), certains tours de mains s’étant perdus », estime Terence Strick, professeur à l’Institut de biologie de l’ENS.
Dans l’archéologie aussi, les séquelles sont lourdes. Durant ces longues semaines où les 2000 agents de l’Inrap (Institut national d’archéologie préventive) n’étaient pas en fouilles, l’établissement public n’a pas pu présenter la facture à l’aménageur. La perte ? « Au moins une vingtaine de millions d’euros » pour un budget annuel d’environ 150 millions, selon son président, Dominique Garcia. « Rattraper le retard ? On ne peut pas. Et on ne peut pas mettre les bouchées doubles en envoyant deux fois plus de personnes, puisqu’on doit laisser de l’espace avec les gestes barrières », analyse-t-il.
Idem du côté de l’astrophysique où certaines observations ont été mises en sommeil, comme le télescope de Meudon qui observait le Soleil de manière systématique depuis… plus de 110 ans. « L’activité solaire, ce sont des cycles de 11 ans, donc deux mois d’observation perdus, c’est embêtant quand on travaille sur de longues séries », déplore Fabienne Casoli, présidente de l’Observatoire de Paris-PSL.
De l’avis de tous, c’est la jeune génération qui risque de payer le plus lourd tribut. « Pour certains étudiants, c’est presque une année blanche », souligne Terence Strick. « De jeunes doctorants étaient censés travailler sur la construction d’instruments dans nos laboratoires, dans le cadre de leurs thèses » et ont donc pris un retard conséquent, confirme Fabienne Casoli. Seul avantage : le confinement a accéléré les réflexions sur les déplacements « superflus » induits par les congrès scientifiques internationaux, virtuels depuis la pandémie. « La recherche se posait déjà des questions sur son impact carbone », relève-t-elle.
« En science, on se déplace pour aller écouter d’autres chercheurs présenter des résultats souvent déjà publiés. Cela fait beaucoup de temps, d’énergie, et surtout de kérosène, pour un gain scientifique finalement assez faible », appuie Eric Casacles, favorable au développement des visioconférences.