Mieux réutiliser les eaux usées pour économiser l’eau potable
Publié le - par LeBlob.fr, avec l’AFP
La sècheresse exceptionnelle de l’été 2022 a mis en évidence la vulnérabilité de l’approvisionnement en eau : la réutilisation des eaux souillées s’impose comme une option d’avenir et se développe en France, en retard par rapport à d’autres pays. « Aujourd’hui, en France, moins de 1 % de l’eau provient de la réutilisation des eaux usées, alors que c’est courant en Italie (8 %) et en Espagne (14 %). Il faut une prise de conscience collective de la nécessité de la réutilisation, pour préserver la ressource eau », plaide Frédéric Salin, responsable de Veolia eau dans le département de l’Aude.
La « réut », selon le jargon des experts de l’eau, est fréquente dans les pays où l’eau est rare, et qui n’ont pas d’autre choix, comme Israël, Singapour ou la Namibie.
Dans la station d’épuration de Narbonne, comme dans cinq autres en France, l’opérateur Veolia a mis en service en 2021 une « Réut Box », une infrastructure tenant dans un conteneur qui assure une étape supplémentaire de traitement de l’eau provenant des égouts. Plutôt que de la rejeter dans les cours d’eau ou la mer, cette technologie, d’une capacité de traitement allant jusqu’à 75 m3/h, permet de rendre l’eau suffisamment propre pour être utilisée dans l’irrigation agricole, le nettoyage urbain, l’arrosage des espaces verts, des stades ou des golfs.
« Il faut industrialiser la “réut”. On va installer ce dispositif partout où c’est possible. D’ici fin 2023, on table sur la mise en fonctionnement de cent “Réut box”, une démarche pionnière qui permettra d’économiser 3 millions de m3 d’eau potable, l’équivalent de la consommation annuelle d’une ville de 180 000 habitants », calcule François Reboul Salze, responsable innovation chez Veolia.
Près de Narbonne, des vignes sont arrosées grâce à la réutilisation des eaux souillées d’une autre station d’épuration. « C’est l’avenir, on a un besoin crucial d’économiser l’eau potable et d’aider les viticulteurs. Maintenant on réfléchit à un réseau de distribution pour l’irrigation agricole, mais ça coûte cher », regrette Michel Jammes, vice-président de l’intercommunalité du Grand Narbonne, en charge de l’eau.
Les 7 km de canalisation irriguant 80 hectares de vignes ont coûté environ 750 000 euros. Ce système, souligne-t-il, permet aux viticulteurs de s’affranchir des restrictions de pompage et d’arrosage.
Pour plaider la cause de la réutilisation des eaux usées, François Reboul Salze met en avant que « beaucoup de tomates venues d’Espagne que nous consommons ont été irriguées grâce à la “réut” (eaux réutilisées, dans le jargon du traitement de l’eau) ».
Si la France a tardé à actionner cette technologie, estime Sophie Besnault, experte en traitement de l’eau de l’INRAE (l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), c’est qu’on « n’en avait pas forcément besoin, quand on n’a pas de manque d’eau… Et du fait des contraintes règlementaires, le cahier des charge est complexe, c’est coûteux ».
« C’est une solution d’avenir pour économiser de l’eau potable, mais elle ne résoudra pas tous nos problèmes, fait remarquer Sophie Besnault. Il faut être assez prudent, c’est une eau qui n’est plus reversée dans la nature, il faut étudier l’éventuel impact sur le cours d’eau ».
L’intensité et la fréquence des épisodes de sécheresse risquent encore d’augmenter sur le pourtour méditerranéen, prévoit le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (Giec). Pour Tatiana Vallaeys, experte à l’Agence de bassin Rhône-Méditerranée, même, « la question de l’eau est plus urgente que celle de l’énergie ». « Il faut anticiper la baisse de débit des fleuves, on prévoit une baisse de 50 % à 80 % du débit du Rhône d’ici 2100, souligne-t-elle. (…) Comment va-t-on refroidir les centrales nucléaires ? Le signal d’alerte a été tiré ».
« On est déjà confrontés à des conflits d’usage de l’eau, quand on voit du transport d’eau par camion, on a un problème, et on n’est qu’au début des problèmes », assure la scientifique.
Ces dernières années, la consommation d’eaux souillées a été popularisée par Thomas Pesquet et les astronautes de la Station spatiale internationale, « où 100 % des eaux usées sont recyclées », note la professeure de l’université de Montpellier.