Malgré leurs atouts, les légumineuses en crise de croissance
Publié le - par le blob, l'extra-média, avec l'AFP
Limiter les engrais, l'érosion des sols et la déforestation importée : la production des pois, fèves et lentilles, qui semble avoir tous les atours de la solution miracle pour la transition agroécologique, reste encore très largement déficitaire en France.
Lentilles vertes, lentilles noires, pois verts, féverolles, lupins, pois chiches : parmi ses 200 hectares de culture, Vincent Seyeux, agriculteur en Mayenne, fait pousser majoritairement des légumineuses depuis une vingtaine d'années. Mais face aux cultures dominantes - blé, maïs, orge -, il s'est vite rendu compte qu'il était compliqué de se faire une place dans les silos. « Beaucoup se sont détournés de ces cultures parce que ça complexifiait un peu trop les choses, et donc c'est plus simple de faire des cultures plus standard où on a des volumes plus importants, où il y a moins besoin de faire attention aux pollutions entre lots, entre cultures », explique-t-il. Une difficulté qu'il a contournée en créant avec trois associés Agro-Logic, une unité de transformation qui trie, sèche et ensache ses récoltes et celles de dizaines d'autres agriculteurs.
Ces soucis logistiques font partie des freins qui devront être levés pour espérer reconquérir la souveraineté protéique prônée par Emmanuel Macron avant même la crise du Covid-19. Et ainsi sortir du vieil équilibre induit par un accord commercial négocié dans les années 1960, qui attribuait la production de protéines végétales (soja, colza) aux Amériques et celle de l'amidon (blé, céréales) à l'Europe.
D'autant que les bénéfices pour l'environnement sont bien connus, notamment la capacité de la légumineuse à capter l'azote, et à réduire ainsi les besoins en engrais de la culture suivante. Les légumineuses stagnent pourtant aujourd'hui à environ 275 000 hectares, selon Antoine Henrion, président de Terres univia, interprofession des huiles et protéines végétales.
Dans le même temps, « il y a eu une forte augmentation des importations de légumes secs, +31% entre 2016 et 2017, et ça continue, alors qu'on en produit en France », explique Bernadette Loisel, chargée de mission alimentation aux chambres d'agriculture de Bretagne. Pour M. Henrion, la compétitivité peine à être au rendez-vous en raison des interdictions de certains pesticides prononcées ces dernières années.
Un plan protéines à la rentrée ?
Un argument des phytosanitaires évoqué dans un tout autre sens par un paysan du Grand Ouest qui requiert l'anonymat : soulignant le « fonds de commerce » que représentent les « phytos » pour les coopératives, il souligne le moindre recours à ces produits pour les légumineuses. La situation est toutefois en train de changer, à l'en croire, car à force de voir se réduire l'arsenal phytosanitaire, les agriculteurs « se retrouvent dans des impasses techniques et finalement s'intéressent aux légumineuses ».
« La diversification des rotations » et donc leur allongement, « avec des légumineuses permet de rompre les cycles des bioagresseurs (maladies, insectes, mauvaises herbes) des cultures majoritaires (blé, colza) et donc de réduire l'usage des pesticides », explique l'ONG WWF, citée par un récent rapport du Sénat pour une alimentation durable.
Certaines légumineuses se font petit à petit une place dans le paysage : le soja, culture dans laquelle l'interprofession a beaucoup investi, « est passé en dix ans de 20 000 hectares à 150 000 hectares et même 180 000 hectares en 2020 », relève Anne Wagner, présidente de Protéines France.
Un enjeu crucial pour les éleveurs, qui importent quantité de soja OGM des États-Unis ou du Brésil, où il est pointé du doigt pour sa contribution à la déforestation. Aujourd'hui, l'agriculture française produit 55% des protéines végétales destinées à l'alimentation du bétail. L'interprofession ambitionne de voir monter ce chiffre à 65%, indique M. Henrion, qui avec l'ensemble de la filière attend de pied ferme le plan protéines promis par le président Macron depuis le début de son quinquennat. Il souhaiterait par ce biais doubler la proportion de légumineuses dans les surfaces de grandes cultures, de 4 à 8%.