Les scientifiques n’échappent pas aux stéréotypes de genre
Publié le - par le blob l'extra-média, avec l'AFP
Les scientifiques ont beau professer la rigueur, quand il s’agit d’évaluer les capacités d’une femme à devenir directrice de recherche, ils n’échappent pas aux stéréotypes de genre sans en avoir forcément conscience, révèle lundi une étude du CNRS français. Les femmes restent sous-représentées dans la recherche scientifique.
Au CNRS, le pourcentage moyen de femmes parmi les chargés de recherche était de 38,1 % fin 2017 et de 29,2 % parmi les directeurs de recherche. Le concept de science demeure « beaucoup plus fortement associé au masculin qu’au féminin chez la plupart des scientifiques » comme dans la population générale, « en raison d’automatismes stockés dans notre mémoire depuis l’enfance », explique à l’AFP Isabelle Régner, chercheuse à l’Université Aix-Marseille et coauteure de l’étude.
L’équipe composée de chercheurs en psychologie sociale et cognitive est parvenue à en apporter « la preuve comportementale » alors que « beaucoup de gens pensent que cette question des stéréotypes de genre est désormais réglée », souligne Pascal Huguet, l’autre auteur de l’étude publiée dans Nature Human Behaviour. Les chercheurs ont étudié pendant deux ans 40 jurys (d’une vingtaine de personnes chacun) chargés d’évaluer les candidatures aux postes de directeur ou directrice de recherche du CNRS dans les différentes disciplines. « C’est la première fois qu’une institution de recherche accepte de faire une étude de ce type sur ses pratiques, en situation réelle et sur tout le spectre scientifique. Le CNRS a pris un risque », considère Pascal Huguet, directeur de recherches CNRS à l’Université Clermont Auvergne.
La première année, les jurys, prévenus de cette étude, ont passé des « tests d’associations implicites », réalisés sur ordinateur pendant leur temps de pause. Ils devaient répondre à des questions sur les causes possibles de la sous-représentation des femmes dans les disciplines scientifiques. Était-ce une question de compétence ? De motivation ? De contraintes familiales ? De discrimination ? En fin d’année, le CNRS a communiqué à l’équipe le nombre de femmes et d’hommes choisis par ces jurys lors des concours. La deuxième année, les mêmes jurys ont travaillé comme d’habitude, sans avoir en tête que l’équipe de psychologues allait étudier, en situation réelle, leurs éventuels biais liés au genre. « La deuxième année, les biais sont bien là », note Isabelle Régner. « Nous avons montré que les jurys qui minimisent explicitement l’existence d’une discrimination liée au genre » (un jury sur deux environ) « sont plus sensibles aux stéréotypes implicites et automatiques et ont tendance à recruter moins de femmes », indique-t-elle. Et dans ce cas, plus les stéréotypes implicites sont forts, moins les femmes sont promues. « En revanche, les jurys qui considèrent explicitement qu’il faut continuer à faire attention à la discrimination de genre parviennent à ne pas être influencés dans leur choix par les stéréotypes implicites même s’ils sont importants », poursuit-elle.
À ses yeux, les résultats de l’étude montrent « ce qu’il faut faire », puisque les jurys qui reconnaissent un risque de discrimination « arrivent à contrôler l’impact des biais implicites sur leur décision ». « On a la solution », pointe la chercheuse, mettant l’accent sur l’importance de la formation.