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Les monts Santa Catalina situés au nord de Tucson, en Arizona, où les arbres meurent du fait de l’aridification. Mars 2018 © Park Williams

Alors que l’ouest des États-Unis et le nord du Mexique subissent une série de plus en plus longue d’années de sécheresse depuis deux décennies, le changement climatique pourrait pousser la région vers une sécheresse extrême à long terme. Selon une nouvelle étude publiée dans Science, basée sur des données météorologiques et historiques combinées avec plusieurs modélisations, la région serait bel et bien en proie à une méga-sécheresse aussi grave, voire pire, que tout ce qu’elle a connu dans son histoire.

Après un XXe siècle, qui aura été le plus humide du millénaire, le déficit hydrique chronique à l’œuvre dans la région depuis vingt ans s’est traduit par une diminution du manteau neigeux, une baisse du débit des rivières et du niveau des lacs et une diminution de la disponibilité des eaux souterraines. Conséquences, selon les auteurs : une modification des activités agricoles, une augmentation des feux de forêt et une réduction de l’absorption du carbone par la végétation.

Une étude d’une ampleur inédite

L’équipe de l’Observatoire de la Terre de l’Université de Columbia (New York) qui a piloté cette étude – et qui alerte depuis longtemps sur les effets du réchauffement climatique aux États-Unis – a passé en revue 1 200 ans d’archives climatiques enregistrées dans les cernes d’arbres. Cela représente l’analyse à long terme la plus complète jamais réalisée. Elle couvre une zone qui s’étend sur pas moins de neuf États américains. Les indicateurs paléoclimatiques montrent que la région a subi de nombreuses et graves variations hydroclimatiques par le passé, des siècles avant que l’homme ne commence à influencer le climat.

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Coupe transversale d'un tronc de pin ponderosa des monts Santa Catalina, en Arizona. © Park Williams

Les analyses dendrochronologiques menées sur plus de 1500 d’arbres ont permis de déduire l’humidité annuelle du sol dès le Moyen Âge, bien avant les premières observations météorologiques fiables. Les chercheurs ont ainsi pu redessiner dans le temps et dans l’espace quatre sécheresses d’une aridité extrême s’étalant sur plusieurs décennies. La première a eu lieu dans les années 800, la seconde au milieu des années 1100, la troisième dans les années 1200 et la dernière – qui fût aussi la plus grave – à la fin des années 1500. Après cela, d’autres sécheresses se sont illustrées, mais sans durer.

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La sécheresse en cours depuis 2000 dans le sud-ouest des États-Unis rejoint le palmarès des méga-sécheresses enregistrées depuis 1200 ans © Park Williams

L’équipe a ensuite comparé les anciennes méga-sécheresses aux relevés d’humidité du sol calculés à partir des observations météorologiques de 2000 à 2018. Leur conclusion : la sécheresse actuelle surpasse déjà les trois premières, et surtout, elle s’étend sur une plus grande superficie.

Un phénomène amplifié par le réchauffement climatique

Pour les chercheurs, les méga-sécheresses du passé sont très probablement associées aux températures fraîches de la surface des eaux tropicales de l’est du Pacifique (phénomène appelé La Niña), qui créent un front empêchant les tempêtes du Pacifique – et donc les fortes précipitations – d’atteindre le sud-ouest américain.

Quant à la sécheresse à l’œuvre depuis les années 2000, elle touche des zones plus vastes que toutes les précédentes, preuve, selon les chercheurs, que le réchauffement climatique est à l’œuvre. L’augmentation des températures accentue l’évaporation, et l’évaporation accentue à son tour l’assèchement des sols déjà privés de précipitations.

Au total, ils affirment que la hausse des températures est responsable d’environ la moitié du rythme et de la gravité de la sécheresse actuelle. Mais la variabilité naturelle reste le facteur principal, et elle pourrait tout aussi bien mettre fin au désastre dans les années à venir. C’est d’ailleurs ce que laisse espérer une année 2019 particulièrement humide. Sauf que les modèles, eux, prévoient plutôt une intensification des sécheresses estivales, et les auteurs concluent que l’ampleur des futures sécheresses en Amérique du Nord et ailleurs dépendra fortement des émissions futures de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.

Une sécheresse globale, qui s’étend bien au-delà de l’Amérique du Nord

Depuis plus de 30 ans, une hausse de la fréquence des sécheresses a également été observée en Amérique du Sud, en Australie, ou encore dans la région méditerranéenne. Valérie Daux, paléoclimatologue au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) travaille en Argentine et au Chili, des zones de plus en plus touchées.

Avec son équipe, la climatologue a mis en évidence un autre phénomène naturel que La Niña favorisant les sécheresses dans l’hémisphère sud : l’élargissement des cellules de Hadley. Ces bandes atmosphériques fonctionnent comme des « tapis roulants » assurant les échanges de chaleur de l’équateur vers les tropiques en altitude. Au cours des dernières décennies, plusieurs équipes, dont la sienne, ont montré que les cellules de Hadley se sont allongées en direction des pôles, ce qui a entraîné un élargissement des zones subtropicales où l’air sec plonge vers le sol.

Cet effet, particulièrement marqué dans l’hémisphère sud, s’est manifesté par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses. Les travaux actuels visent à reconstituer si ce phénomène d’expansion des cellules est inédit à l’échelle des derniers siècles. Et ce sont encore une fois les arbres et leur précieuse mémoire inscrite au cours de leur croissance qui sont exploités pour comparer la situation actuelle aux climats passés, ainsi que des outils de modélisation.

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Carotte effectuée dans un tronc d'arbre, permettant d'étudier les cernes du bois. ©Valérie Daux

Les données sont encore en cours d’acquisition, et les spécialistes du climat sud-américain ne sont pas aussi avancés que leurs collègues du nord. Bien que l’influence des processus anthropiques sur les sécheresses en Amérique du Sud ne soit pas démontrée, les premières modélisations de l’expansion passée et future des cellules de Hadley laissent entrevoir que la situation ne devrait pas aller en s’améliorant dans les prochaines années. L’expansion des cellules devrait se poursuivre…