Il y a 2 millions d’années, en Afrique australe, Australopithecus, Paranthropus et… Homo erectus ?
Publié le - par Barbara Vignaux
Il y a près de 2 millions d'années, australopithèques, paranthropes et Homo erectus cohabitaient sur le site riche en fossiles de Drimolen, dans l’actuelle Afrique du Sud. C’est ce qui ressort de la nouvelle évaluation chronologique réalisée par une équipe internationale, qui a fait l’objet d’une publication hier dans la revue Science.
En soi, la cohabitation d’espèces différentes d’hominines ne constitue pas une nouveauté : elle est connue – et débattue – depuis plusieurs décennies. Ce qui est plus neuf, c’est l’important effort de datation déployé par l’équipe : les fossiles crâniaux d’Homo erectus et Paranthropus robustus dateraient de 2,04 à 1,95 millions d’années, un âge qui en fait les plus anciens spécimens de leurs espèces respectives. Et qui recule de 100 000 ans les premières apparitions dans le temps de ces deux espèces. Or si la présence d’erectus est admise en Afrique de l’Est à des dates aussi anciennes – mais sous l’appellation plus courante d’Homo ergaster – elle n’avait pas encore été documentée dans le sud du continent.
Une méthode de datation novatrice
C’est tout d’abord l’effort de datation que salue en premier lieu Florent Détroit, paléoanthropologue au Muséum National d’Histoire Naturelle. « Les sites karstiques [qui se développent dans les régions où prédominent les roches sédimentaires sensibles à la dissolution, comme les calcaires, ndlr]d’Afrique du Sud sont compliqués à dater : ce sont des cavités qui se remplissent de sédiments et d’ossements, lesquels peu à peu se dissolvent partiellement et disparaissent, avant d’être recouverts par de nouveaux sédiments, explique-t-il. On a donc des mélanges de plusieurs phases temporelles à l’intérieur d’une même couche géologique. Dans cette publication, pourtant, la provenance des restes fossiles est très bien documentée ».
Pour reconstituer une chronologie précise du site de Drimolen, l’équipe a combiné plusieurs méthodes de datation : résonance de spin électronique — qui mesure la dose de radiation reçue par un échantillon depuis sa formation ou son enfouissement —, paléomagnétisme et datation uranium-plomb — qui étudie les isotopes radioactifs enfermés dans l’échantillon étudié. Cette dernière méthode a permis de dater les « spéléothèmes » ou planchers stalagmitiques du site, c’est-à-dire les couches continues de calcite, et ainsi de distinguer des lignes successives de dates : un fossile donné peut ainsi être daté par les « tranches » supérieure et inférieure du « sandwich » dans lequel il se trouve inséré. « Cette méthode pourrait être appliquée dans d’autres sites d’Afrique australe », souligne Florent Détroit.
Quel Homo erectus ?
Ce qui semble plus sujet à discussion, c’est le rattachement d’un des deux crânes étudiés par l’équipe à Homo erectus, attribué à un enfant. « On connaît peu de caractères taxonomiques pertinents de crâne enfantin d’Homo ancien, puisqu’on ne dispose que d’un fossile de ce type, en Indonésie », signale le chercheur. Découvert sur l’île de Java, ce fossile, dit « de Mojokerto », est à ce jour le seul attribué à un erectus immature. La publication, de fait, justifie le rattachement du crâne à erectus plutôt par défaut. Dans un commentaire joint à l’étude, l’anthropologue Susan C. Antón, de l’université de New York, explique en effet que « la taille et la forme de la boîte crânienne excluent son affiliation aux deux espèces d’Homo vivant sur le continent à l’époque, rudolfensis et habilis ».
Cela justifie-t-il pour autant le classement de ce fossile parmi l’espèce erectus ? La difficulté d’une telle question n’est pas propre au site sud-africain de Drimolen, souligne Florent Détroit : « Nous disposons de peu de fossiles d’Homo anciens en Afrique australe et leur attribution est en général très discutée : erectus ? habilis ? ergaster ? rudolfensis ? naledi ? ou même une espèce encore inconnue ? »
Resterait donc à confirmer l’hypothèse de la présence, en Afrique australe, il y a deux millions d’années, d’Homo erectus. À cet égard, le titre de l’article sur le caractère « contemporain » des trois espèces pourrait donc être un peu trompeur. Il est d’ailleurs plus affirmatif que le contenu de la publication.
Sauf à donner d’erectus une définition très large. « Sur erectus, il y a deux écoles, explique Florent Détroit. Pour la première, erectus est l’ancêtre de l’Homme sur toute la planète et les variantes anciennes d’Homo — ergaster, georgicus, rudolfensis, antecessor — n’en sont que des variantes géographiques. L’auteur du commentaire, Susan C. Antón, s’y rattache clairement.La seconde école — à laquelle j’appartiens —, distingue plusieurs espèces selon leur provenance spatiale et privilégie une acception moins large d’Homo erectus ».
Une telle question, aujourd’hui ouverte, en évoque d’autres, du même ordre : également découvert en Afrique du Sud, sediba relève-t-il du genre Homo ou australopithecus ? Comment trancher ? Plus largement, comment définir le genre Homo, reconnaître ses premiers représentants et le distinguer des genres proches ? Cette nouvelle étude enrichit un débat passionné et loin d’être clos.