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© AFP Jonathan NACKSTRAND

Autrefois, la menace venait des lynx, des carcajous et autres aigles des forêts, lorsque l'hiver les rennes partaient en transhumance sur les terres glacées de Laponie suédoise pour trouver de quoi se nourrir. Le danger aujourd’hui vient du changement climatique qui force les éleveurs à chercher toujours plus loin de nouveaux itinéraires pour trouver le lichen, principale source de nourriture des cervidés en hiver. Une errance qui bouscule les traditions séculaires de la minorité autochtone sami, seule autorisée à élever des rennes en Suède.

En ce matin de février, sous des températures frôlant les -20 degrés, Margret Fjellström et son mari Daniel Viklund qui élèvent des centaines de rennes, surveillent leur troupeau s'enfonçant dans les terres boisées et enneigées riches de la précieuse mousse. Cette année, ils ont dû faire faire un parcours plus long qu'à l'accoutumée pour trouver un terrain sur les bords de la mer Baltique. Le trajet a pris deux fois plus de temps. Lorsque les chutes de neige étaient régulières, les parents de Margret pouvaient planifier les déplacements de leurs rennes, suivant les mêmes itinéraires année après année, au gré des changements de saison.

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Des rennes en transhumance vers leur pâturage d'hiver près de Ornskoldsvik, dans le nord de la Suède, en février 2020 © AFP Jonathan NACKSTRAND

Désormais, la transhumance et l'errance des rennes en montagne et dans la plaine se heurtent aux fantaisies de la météo, qui fait alterner périodes de froid et de redoux, gelant le sol d'épaisses couches de glace et empêchant les rennes d'accéder au lichen. « Il peut pleuvoir en janvier, il peut neiger en mai, il n'y a plus de logique », poursuit-elle.

En janvier, les températures ont été jusqu'à dix degrés supérieures aux normales saisonnières dans le nord du royaume, indique l'Institut météorologique suédois. Entre 1991 et 2019, certaines parties du nord et de l'est de la Suède ont connu une augmentation des températures moyennes de près de deux degrés par rapport à la période 1860-1900.

Chaque hiver, Margret et Daniel mènent leurs rennes de Dikanäs, un village des contreforts des Alpes scandinaves situé à 800 kilomètres au nord de Stockholm, jusqu'aux plaines d’Örnsköldsvik. Pour dénicher les zones riches en lichen, ils passent deux mois à explorer des espaces souvent inconnus, avant d'y conduire depuis les pâturages d'été leur troupeau qui doit braver en chemin autoroutes, parcs éoliens et autres projets hydroélectriques.

Tantôt en camion pour transporter le cheptel sur la parcelle d'hiver, tantôt en motoneige à travers les forêts, Margret et Daniel suivent aussi les cervidés à l'aide de colliers GPS. L’éleveur utilise un drone pour suivre ses bêtes lorsqu'il n'y a pas assez de neige pour utiliser la motoneige. Munie de haut-parleurs, la machine émet des aboiements pour avertir le troupeau d'une zone de danger comme les routes ou les éoliennes, dont le bruit effraie les rennes.

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L'éleveur de rennes Daniel Viklund suit le déplacement de ses bêtes grâce à un drone © AFP Jonathan NACKSTRAND

Les éleveurs de rennes samis et leurs troupeaux sont particulièrement vulnérables au changement climatique, estime Gunhild Rosqvist, chercheur à l'Université de Stockholm. Le peuple Sami (ou Sames et autrefois appelés Lapons) compte 80 000 à 100 000 personnes dans les contrées de l'Arctique en Suède, Finlande, Norvège et Russie. Sur tout le Septentrion nordique, les rennes sont domestiqués pour leur viande, leur fourrure et leur bois destinés à l'artisanat, et parfois évoluent à l'état sauvage comme en Norvège.

Le « réchauffement climatique altère les conditions de la végétation, menace le bien-être des rennes et leur accès à la nourriture », rapportait en 2019 une étude de l'Université d'Oulu en Finlande et du Centre pour la recherche environnementale de l'Université de Laponie. Et par là, l'équilibre économique de la population liée à l'élevage de rennes. Margret Fjellström et Daniel Viklund ont dû réduire leur troupeau pour s'assurer que chaque animal ait de quoi se nourrir. Quand il n'y a pas assez de lichen, ils doivent compléter avec du fourrage, ce qui est onéreux.

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Daniel Viklund suit sur écran le déplacement de ses bêtes filmées par son drone © AFP Jonathan NACKSTRAND

Une tradition en danger

Début février, au marché annuel sami de Jokkmokk, sur le cercle polaire, où marmites de ragoût de renne à la vapeur côtoient peaux de bêtes et autres couteaux en bois sculptés, c'est toute une communauté qui se dit préoccupée. « L'élevage des rennes est pratiqué depuis des centaines d'années et constitue une part importante de la culture sami », explique Kjell-Ake Aronsson, chercheur au musée de Jokkmokk. « La viande de renne est un produit important […] Beaucoup de personnes sont indirectement liées à cet élevage », poursuit-il.

Selon le Parlement sami, 2 000 personnes dépendent directement de l'élevage de rennes en Suède, pour un peu plus de 250 000 bêtes. A l'écart des touristes et des stands, de jeunes militants samis sont venus en tenue traditionnelle brodée de bleu et de rouge pour participer à une « grève pour le climat ». Parmi eux, Alva, la fille de Margret et Daniel, qui à 17 ans se voit plus tard à la tête d'un troupeau de rennes, comme ses aïeux. Mais aujourd'hui plus rien n'est sûr. « Je veux donner à mes enfants la possibilité de faire ça », dit son père. « Mais le changement climatique pourrait venir détruire ce rêve ».