En Autriche, l’hydraulique menacé par le changement climatique
Publié le - par LeBlob.fr, avec l’AFP
A 2040 mètres d’altitude, 350 ouvriers s’activent sur un chantier spectaculaire, symbole d’une Autriche dépendante de l’hydraulique qui doit s’adapter au réchauffement climatique. Ils construisent dans la montagne une nouvelle centrale capable de stocker de l’énergie au-dessus du village salzbourgeois de Kaprun, à une altitude sauvage et inhospitalière, même en été.
Cette « cathédrale » high-tech est enfouie sous un décor de cimes blanches et de barrages vertigineux, survolée par des aigles et foulée par des bouquetins. Au pied de la statue de Sainte-Barbe, patronne des métiers dangereux, on vient de fêter la fin des travaux d’excavation dans des tunnels oppressants, vibrant du va-et-vient des camions. Il s’agit d’agrandir d’ici 2025 les installations déjà existantes pour absorber les pics de consommation électrique et réagir à des précipitations devenues de plus en plus capricieuses et irrégulières.
La hausse des températures provoque en outre de la sécheresse et accélère la fonte de neige ou de glace, menaçant l’approvisionnement des rivières. « La répartition dans l’année va changer : on aura moins d’eau en été et plus en hiver », estime Klaus Hebenstreit, cadre de l’entreprise semi-publique Verbund, le principal producteur d’électricité du pays. « Nous voulons nous préparer au mieux » à ces nouveaux défis, souligne-t-il. D’où ce projet gigantesque de centrale à accumulation, capable de produire à la demande grâce à des réserves d’énergie.
À l’autre bout du pays, le site de Freudenau sur le Danube viennois alimente plus de 240 000 ménages. Lui fonctionne au fil de l’eau, au gré des débits des rivières. Ses six turbines d’un diamètre de 7,5 mètres sont impressionnantes et en cette fin d’année scolaire, des classes en sortie viennent les admirer. Autant d’installations qui n’émettent pas de CO2 lors de l’utilisation et font la fierté de l’Autriche, même si leur impact sur les écosystèmes n’est pas négligeable et est régulièrement dénoncé par les défenseurs de l’environnement.
Exploitant la quasi totalité de ses cours d’eau avec plus de 3100 barrages, le pays tire plus de 60 % de sa production électrique de cette source d’énergie renouvelable, contre 16 % dans le monde en moyenne. Mais le réchauffement se fait déjà ressentir et les chiffres sont en baisse : l’hydroélectricité a généré 42 térawattheures (TWh) en 2021, en recul comparé aux 45 TWh de 2020, selon le cabinet Statista.
Pour la première fois l’an dernier, ce pays prospère — qui tente par ailleurs difficilement de renoncer à l’approvisionnement en gaz russe — a dû se résoudre à… importer de l’électricité, un vrai signal d’alarme. C’est le résultat de la succession de « plusieurs années de sécheresse », explique Roman Neunteufel, chercheur à l’université agronomique de Vienne. « Les niveaux d’eau n’avaient jamais été aussi bas depuis le début des relevés » il y a une centaine d’années.
L’Europe a connu une année 2022 plus chaude de 2,3 degrés que le climat de la fin du 19e siècle, selon le récent bilan annuel de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) des Nations unies et du réseau européen Copernicus. Et les glaciers alpins ont connu « une perte de masse record ». « S’il n’est pas possible de produire beaucoup en raison des faibles débits, il est clair qu’il faudra utiliser d’autres ressources », prévient l’expert.
Verbund investit donc des milliards d’euros dans l’extension de son parc, pour améliorer la sécurité d’approvisionnement et développer des alternatives. « Nous nous diversifions », explique Klaus Hebenstreit, interrogé dans la capitale autrichienne sous une température accablante de 37 degrés. « L’eau restera le cœur de notre activité, mais nous avons aussi maintenant du photovoltaïque et de l’éolien ».
Pour un pays hostile au nucléaire qui avait tout misé sur une ressource paraissant inépuisable et vise le 100 % d’électricité renouvelable d’ici à 2030, leur développement est un casse-tête. « L’énergie solaire, c’est formidable en été », rappelle Roman Neunteufel. « Mais la production est trop faible en hiver, justement quand on en a besoin pour chauffer. Et avec le vent c’est encore pire : quand il n’y en a pas, la production est simplement interrompue ».
Habituée à une eau abondante, l’Autriche se tourne tardivement vers le vent et le soleil, qui représentent 13 % seulement de son mix énergétique.