Du Petrus et des plants de vigne envoyés dans l’espace pour tester leur « résilience »
Publié le - par LeBlob.fr, avec l’AFP
Ils reviennent de loin après un voyage dans les conditions extrêmes de l’espace. À Bordeaux, des bouteilles de Petrus et des sarments de vigne sont analysés par des chercheurs qui développent une expérience sur la microgravité, potentiel accélérateur d’une agriculture plus « résiliente » sur terre.
Bonne nouvelle : même après 14 mois dans l’espace, ce grand cru de 21 ans – d’un prix de 5 000 euros – est resté « un très grand vin », selon les premières conclusions de l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV) de l’université de Bordeaux, dévoilées hier. Depuis février, l’ISVV, à Villenave-d’Ornon (Gironde), est chargé d’analyser les 12 bouteilles de ce vin « mythique » et la moitié des 320 sarments de vigne de merlot et cabernet sauvignon envoyés pendant respectivement 14 et 10 mois sur la Station spatiale internationale (ISS), à l’initiative de la start-up européenne Space Cargo Unlimited (SCU).
Ce lancement s’inscrivait dans le cadre de sa mission WISE qui ambitionne de « trouver des solutions pour l’agriculture de demain » en pariant sur l’influence de la microgravité sur le vivant. Tout l’enjeu est de vérifier si l’environnement spatial, avec ses radiations et sa microgravité, a modifié les caractéristiques de ce Pomerol, et surtout si l’apesanteur peut rendre la vigne plus résistante.
« Notre hypothèse est que les plantes qui auront su résister à l’absence de gravité seront plus résilientes, plus en capacité de réagir à des stress (…) comme le changement climatique », explique le Girondin Nicolas Gaume, président et cofondateur avec Emmanuel Etcheparre de SCU. Une quinzaine de chercheurs sont impliqués dans ce programme privé de recherche appliquée en partenariat avec l’université d’Erlangen (Allemagne), le Centre national d’études spatiales (Cnes) et l’agence spatiale européenne (Esa).
Revenus mi-janvier sur terre, la moitié des sarments ont été replantés dans les serres du leader mondial des pépinières viticoles, le Groupe Mercier, pour des débouchés futurs. L’autre moitié, à l’ISVV, est désormais comparée et analysée avec des lots identiques restés sur terre, eux.
Parallèlement, un test mené le 1er mars a permis d’obtenir « une première photographie » de l’odyssée spatiale du vin. Ce jour-là, deux bouteilles « anonymisées » de Petrus ont été présentées à l’aveugle à un panel de 12 personnes - amateurs et experts. Verdict « unanime » : « le “vin de l’espace” a été très bien évalué sensoriellement », résume Philippe Darriet, directeur de l’unité de recherche œnologie à l’ISVV. Dans 11 cas sur 12, des « différences » ont été notées, en particulier sur la couleur, et parfois dans les nuances d’odeurs et de goût.
« Stress prodigieux »
Pour l’œnologue Jane Anson, « la grande différence » entre les deux vins était surtout « visuelle ». « Les deux sont vraiment magnifiques », a-t-elle assuré début mars tout en jugeant le vin terrestre « un peu plus tannique, plus jeune » par rapport au vin « céleste » dont l’« aromatique plus floral » ressortait « davantage ». L’œnologue Franck Dubourdieu n’a pas perçu de différence « significative » et salue un « succès » : « Le vin de l’espace ne s’est pas détérioré ».
Ces premières impressions doivent encore être confortées par des analyses physico-chimiques à l’ISVV tandis qu’en parallèle, les scientifiques surveillent l’évolution des sarments qui ont végété dix mois en apesanteur, dans des alvéoles sans lumière à l’hygrométrie maîtrisée.
« La gravité est un paramètre central de la vie, le seul qui n’a jamais évolué sur Terre, contrairement à la température ou l’humidité. Quand on expose des plantes à cette absence de gravité, on les soumet à un stress prodigieux, qui pourrait accélérer certaines évolutions naturelles », avance Nicolas Gaume.
S’il est trop tôt pour tirer des conclusions, les chercheurs ont déjà constaté que « les plants de vignes » spatiaux « poussaient plus vite que leurs jumeaux restés sur terre », se réjouit Nicolas Gaume. Mais il faudra attendre 3 ans pour savoir si certaines plantes ont subi des modifications épigénétiques (dans l’expression des gènes).
« L’attente finale, c’est de “challenger” les plantes et de regarder si elles ont acquis une meilleure tolérance à des agents pathogènes comme le mildiou », et à « un contexte de changement climatique », ajoute la scientifique, Stéphanie Cluzet, directrice de recherche et professeure à l’ISVV.
Prochaine étape de la mission WISE ? Tester une fermentation en apesanteur.