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Les effectifs des abeilles ont chuté sous l’effet des néonicotinoïdes © PxHere

« L’apocalypse » des insectes serait un phénomène plus complexe et nuancé que ce que de récentes études pouvaient laisser croire. C’est ce qui ressort de l’article paru aujourd’hui dans la revue Science : une méta-analyse de 166 enquêtes à long terme (plus de dix ans) rassemblant les données de 1 676 sites de par le monde – « l’évaluation la plus vaste et la plus complète à ce jour », souligne un article de commentaire paru dans la même revue. Au prix, toutefois, d’une surreprésentation des données nord-américaines et européennes, où les enquêtes sont historiquement plus nombreuses.

Proposant une analyse statistique de ces recherches, Roel van Klink (Centre allemand de recherche intégrative sur la biodiversité) et ses collègues montrent que la baisse moyenne des insectes et arachnides terrestres est d’environ 9 % par décennie depuis 1960, un pourcentage « six fois moins élevé que celui des récentes études de cas parmi les plus médiatisées », écrit-il. Cette évolution – mesurée en quantité, pas en diversité d’espèces – confirme donc la tendance générale au déclin, mais dans des proportions moindres que celles retenues depuis quelques années : autour de 25 % de perte de biomasse tous les 25 ans.

Terre et eau douce

En revanche, pour les insectes et arachnides d’eau douce – laquelle couvre 2,4 % de la surface terrestre –, c’est une hausse moyenne de 11 % par décennie qui ressort de la méta-analyse. « Ça me surprend un peu, car localement on voit des dégâts énormes, observe Philippe Grandcolas, directeur de recherche CNRS au Muséum national d’histoire naturelle (qui n’a pas pris part à l’étude), mais peut-être les efforts réalisés pour améliorer la qualité de l’eau expliquent-ils ce signal positif. »

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Insectes terrestres. Les points colorés représentent l’emplacement des insectes pour chacun des 166 ensembles de données pris en compte dans l’étude : en rouge, le déclin et en bleu, une abondance en hausse © Van Klink et al., Science 2020

Disparité selon les milieux, disparité aussi selon les régions, les zones climatiques et les périodes. Ainsi, le déclin des insectes et arachnides est particulièrement marqué en Amérique du Nord et dans certaines régions européennes. Un constat qui n’étonne pas Philippe Grandcolas : « Les insectes sont une somme de cas particuliers, avec des causes d’extinction très variables selon les lieux et pas forcément liées entre elles, même si elles sont toutes le fait de l’Homme ».

« Ampleur du désastre »

Dans les zones tropicales, la déforestation joue souvent le premier rôle ; dans les pays agricoles – France, États-Unis, Argentine, Brésil par exemple – ce sont plutôt les pesticides. « Les substances actuelles sont jusqu’à mille fois plus toxiques qu’auparavant !, signale le chercheur du Muséum. En outre, 20 % seulement de la substance déversée dans un milieu atteint sa cible, les 80 % restant demeurant au mieux dans le sol, au pire dans les milieux adjacents. »

Au-delà de la diversité des causes et des situations, l’étude « confirme l’ampleur du désastre : malgré des signaux différents, l’effet global reste négatif, résume Philippe Grandcolas. Ce n’est pas très étonnant : le déclin de la biodiversité, déjà bien expertisé, fait l’objet d’un consensus relayé par l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) ».

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Insectes d’eau douce. Les points colorés représentent l’emplacement des insectes pour chacun des 166 ensembles de données pris en compte dans l’étude : en rouge, le déclin et en bleu, une abondance en hausse © Van Klink et al., Science 2020

Dossier à charge

Mais le déclin des insectes reste assez mal documenté, ainsi que ses conséquences sur les services écosystémiques : pollinisation, décomposition et lutte contre les parasites. Avec 1 million d’espèces dans le monde (40 000 en France), les insectes stricto sensu (hors acariens et araignées) représentent pourtant une part considérable de la diversité animale. Et un maillon essentiel de la chaîne alimentaire : « Vous supprimez les insectes, vous supprimez les oiseaux ; vous supprimez les insectes d’eau douce, vous supprimez les poissons », résume d’une phrase Philippe Grandcolas.

Paradoxalement, cette étude constitue « un soulagement » pour cet entomologiste : une pièce à charge supplémentaire dans le dossier d’accusation sur le déclin des insectes. Car dans ce domaine comme dans d’autres, les « négationnistes » ne manquent pas. Et ce, alors que des solutions simples sont à portée de main, concluent les auteurs de l’étude, comme la législation (de type « loi sur l’eau »), la protection des habitats naturel ou la rationalisation de l’extraction de matières premières.