Au Maroc, le plus ancien rucher au monde déserté par les abeilles
Publié le - par LeBlob.fr, avec l’AFP
Au pied du monumental rucher d’Inzerki, dans le sud-ouest du Maroc, le silence a remplacé le bourdonnement des abeilles. Silence synonyme d’un désastre écologique précipité par la disparition des colonies. Un phénomène observé à l’échelle nationale provoqué par une sécheresse hors norme et le changement climatique, selon des experts.
« À cette période de l’année, l’espace est censé être empli du bourdonnement des abeilles. Aujourd’hui, elles meurent à un rythme vertigineux », déplore auprès de l’AFP l’apiculteur Brahim Chatoui, en inspectant ses essaims sous un soleil de plomb. Comme le veut la tradition familiale, ses 90 ruches – il en a perdu 40 en moins de deux mois – sont disposées dans l’abeiller d’Inzerki, au cœur de la réserve de biosphère de l’arganeraie, l’une des plus riches du pays. « D’autres familles ont tout simplement décidé d’abandonner l’apiculture, faute de moyens », témoigne M. Chatoui.
Considéré comme « le plus ancien et le plus grand rucher collectif traditionnel au monde », selon les spécialistes, ce site datant de 1850 n’est pas le seul frappé par la mortalité des hyménoptères. D’autres régions marocaines sont touchées. « Les pertes sont considérables rien que dans la région de Béni Mellal-Khénifra (centre), elles sont estimées à 100 000 ruches depuis le mois d’août », s’alarme Mohamed Choudani, de l’Union des apiculteurs du Maroc (UAM).
Le pays comptait 910 000 ruches exploitées par 36 000 apiculteurs en 2019, contre un peu moins de 570 000 en 2009, selon les statistiques officielles. Cette année, l’ampleur des disparitions d’abeilles est telle que le gouvernement a débloqué une aide aux apiculteurs de 130 millions de dirhams (plus de 12 millions d’euros) – « toujours pas déployée », selon M. Choudani – et a lancé une vaste enquête sur la catastrophe.
« Cette désertion des ruches est un phénomène inédit au Maroc », constate l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), chargé de l’enquête, qui impute aux changements climatiques le « syndrome de l’effondrement des colonies d’abeilles ». L’ONSSA exclut l’hypothèse de maladies.
Le chercheur en sciences apicoles, Antonin Adam, privilégie la piste de la sécheresse, la pire qui ait frappé le pays en quarante ans. En outre, « la sécheresse peut être aujourd’hui amplifiée par la vulnérabilité des abeilles aux maladies, à la transhumance, aux pratiques agricoles intensives mais également à la volonté du pays d’augmenter sa production de miel », analyse le scientifique qui a étudié le milieu apicole dans le sud-ouest du Maroc.
La production de miel a bondi de 69 % en 10 ans, passant de 4,7 tonnes en 2009 à près de 8 tonnes en 2019, avec plus d’un milliard de dirhams (101 millions d’euros) de chiffre d’affaires, selon le ministère de l’agriculture. Pour l’apiculteur Brahim Chatoui, « la sécheresse est un cycle normal. C’est son intensité qui est aujourd’hui inquiétante ».
À Inzerki, le désastre est double : écologique mais aussi patrimonial. De loin, le rucher frappe par sa structure à la fois simple et complexe, en terre et en bois sur cinq niveaux compartimentés en cases de dimensions égales. A l’intérieur des cases sont disposées les ruches cylindriques en roseaux tressés enveloppées de terre mélangée à de la bouse de vache.
Mais il suffit d’approcher pour constater l’étendue du délabrement. Des parties de l’abeiller – inscrit récemment au patrimoine national – s’affaissent, laissant craindre le pire. Pour Hassan Benalayat, chercheur en géographie humaine, la dégradation du rucher est la conséquence de plusieurs bouleversements dans la région, notamment la modernisation de la filière apicole et l’exode rural mais aussi le réchauffement climatique. Par le passé, 80 familles y déposaient leurs abeilles, elles ne sont plus qu’une vingtaine aujourd’hui. « Il est urgent de faire vivre ce patrimoine exceptionnel », plaide M. Benalayat.
« La situation est critique mais ce n’est pas pour autant que je vais baisser les bras », assure de son côté M. Chatoui qui a créé avec d’autres villageois une association pour protéger le rucher. L’association s’est battue pour l’inscrire au patrimoine du Maroc. Elle a planté des herbes aromatiques, afin de résister à l’aridité des sols, et s’efforce aujourd’hui de réhabiliter le rucher. « L’objectif n’est pas le miel mais surtout que le rucher soit préservé et que mes abeilles survivent en attendant des jours meilleurs », conclut l’apiculteur.