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Les artistes peignent avec un pied préférentiel © Association des artistes peignant de la bouche et du pied

Bouche, mains, pieds… le cerveau a une place réservée à chaque partie du corps. Mais, selon les expériences vécues, cette place – qu’on appelle la somatotopie – peut changer. Par exemple, chez un pianiste, la place des doigts sera mieux délimitée dans les cortex moteur et sensoriel primaires, où l’on retrouve les deux cartes somatotopiques du cerveau. Toutefois, « ces différences que nous voyons sont très petites », précise Harriet Dempsey-Jones, chercheuse à l’University College de Londres.

Or cette chercheuse a récemment pu observer des modifications « extrêmes » chez deux artistes peintres anglais, Tom Yandell et Peter Longstaff, nés avec une malformation des membres supérieurs et qui peignent donc avec leurs orteils : « Leur cerveau a développé une toute nouvelle somatotopie ! »

Alors que la représentation des orteils au sein du cortex sensoriel est, en général, assez grossière, chez ces artistes, elle est délimitée pour chaque orteil. Autrement dit, leurs orteils perçoivent de manière distincte les stimuli – le toucher, notamment. « Nous avons décidé d’analyser leur cortex sensoriel primaire car sa somatotopie est bien organisée, contrairement à son équivalent moteur. Par exemple, la région sensorielle du pouce est toujours à côté de celle de l’index, elle-même à côté du majeur, etc. », commente la chercheuse.

En outre, bougés un par un, les orteils se frottent les uns aux autres. Cette information sensorielle est envoyée au cerveau, et « c’est exactement cette donnée – un résultat du mouvement – que nous avons étudiée », explique-t-elle. C’est en touchant successivement le bout de chaque orteil des deux artistes qu’elle a réussi à discerner dans leur cerveau les zones activées, et mesurer ainsi indirectement la finesse de leurs mouvements.

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Les chercheurs ont comparé, deux par deux, le patron d’activation des orteils (D1 à D5) chez les artistes et neuf participants « contrôles ». Plus la case est jaune, plus les chercheurs discernent aisément chaque orteil (les cases D1/D5 chez les deux artistes, par exemple). Cela reflète les mouvements fins que sont capables d’accomplir les artistes avec leurs orteils, à l’inverse des contrôles © Harriet Dempsey-Jones/University College de Londres

Mais ce n’est pas tout. Dans le cerveau de Tom et Peter, un autre élément retient l’attention de la chercheuse : l’espace autrefois dédié aux perceptions de la main est maintenant recruté par les pieds. Ceci expliquerait qu’ils se servent mieux de leurs orteils… comme quoi, « le cerveau ne gaspille pas ses ressources », souligne la neuroscientifique.

Chez ces deux artistes, un usage particulier des orteils s’est développé dès l’enfance. Or c’est au cours de cette période « critique » (de la naissance, jusqu’au début de la puberté) que la nouvelle somatotopie des orteils se serait développée. Une spéculation car, pour le moment, « il n’y a aucun moyen d’en être sûre », signale Harriet Dempsey-Jones.

Ces résultats pourraient aider à mieux soigner les personnes ayant souffert d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Pendant les sept jours suivant l’accident, le cerveau expérimente une sorte de plasticité qui s’apparente à celle de la période « critique ». Si les patients sont pris en charge à temps, ils peuvent parfois – avec une rééducation assidue – récupérer la motricité qu’ils ont perdue.